
Vous êtes sous mes yeux et je me souviens de votre dernière apparition, il y a longtemps, à San Diego. Caressée par une caméra discrète, par le discours amoureux du cinéaste Régis Wargnier, vous annonciez alors votre retour.
Je revois votre foulée sur la plage, votre fuseau blanc, votre top rose d’une élégance sexy folle. Anthony Maybank, votre compagnon, ne vous quittait pas des yeux. Je me glissais à ses côtés, j’épousais votre ombre. Ce que je voyais, je le savais déjà. Je l’avais deviné, imaginé, et Bashung avait dit : « Marie-Jo s'en est allée inhaler/ Les parfums de l'indolence /Elle reviendra si ça lui chante /Si elle y pense. »
Il faut toujours croire Bashung sur parole, surtout quand il chante la grâce des gazelles, ces biches de la savane qui affolent les boussoles, ces lianes black de muscles fins à baiser, ces silhouettes couleur café qui n’ont peur de rien, hormis des chasseurs de scoop, des charognards hexaconaux.
Ils vous ont salie Marie-Jo. Ils ont bavé sur votre foulée. Ils ont postillonné sur vos larmes et sur vos peurs. C’était à Sydney lors des JO. Les salauds hors-catégorie voulaient votre peau. Ils vous ont ratée. Il faut du gros plomb pour abattre une gazelle. Et le plomb, le pétrole qui flambe, ces messieurs n’en ont pas. Oublions-les.
La parole n’est pas à votre palmarès. Nous devrions tous le connaître par cœur, long poème d’écolier admiratif à réciter d’une traite : les victoires, les médailles, les records, l’œuvre de funambule bâtie sur les pistes d’Atlanta, d’Edmonton.
La parole est aux images, aux frissons qui s’emparent de l’échine, et à la foulée, la vôtre, immense et légère, démesurée et belle, foulée qui plante les secondes, les oublie, les enrhume et reparaît souveraine.
Marie-Jo, vos dernières lignes droites étaient des mots que nous ne pouvions qu’effleurer. Des mots qui se sont échappés avec vous. Gazelle vous êtes, Mademoiselle Gazelle, une barbare inoubliable, une barbare à l’assaut des tréteaux montés. Votre sourire retrouvé, hors course, est coupant et fruité comme un baiser.
Marie-Jo, une dernière chose : les souliers rouge et noir que vous portiez sur la plage de San Diego, les mêmes qui vous ont accompagné sur le théâtre de toutes vos conquêtes, de toutes vos ruées, s’appellent des pointes. Je le savais Marie-Jo, vous êtes une danseuse.