jeudi 30 septembre 2010

Michel Poiccard s'en va


Il était invivable.
Il était égoïste.
Il était colérique.
Il en avait marre.
Il était fatigué.
A bout de souffle dans la fumée de ses cigarettes.
Il voulait seulement dormir.
Il traînait ses hiers lontains comme un sac de merde.
Il portait des lunettes noires.
Il pensait à elle.
Rue Campagne Première, il est mort en pensant à elle.
Sa petite américaine.
Jean Seberg.

lundi 20 septembre 2010

Schiffter, flâneur classieux et sentimental


Que faire dans ce que Baudouin de Bodinat nomme « le peu d’avenir que contient le temps où nous vivons » ?
L’époque, agrégat de manageurs et de managés volontaires, ne propose guère qu’expédients sécuritaires d’une part, et remèdes euphorisants des babas du blabla philosophique d’autre part. L’époque, il est vrai, n’aime pas les dandies.
Qu’est-ce qu’un dandy? C’est Mastroianni dans la Dolce vita, Jacques Dutronc dans Joseph et la fille avec sa vieille veste kaki, sa dégaine délicatement cabossée et ses yeux de gentleman cambrioleur plantés dans ceux de Hafsia Herzi. C’est, du côté des mots et de l’esprit buissonnier, Frédéric Schiffter, “nihiliste petit-bourgeois”, classieux et dilettante. Point commun à tous : l’élégance comme art de survivre.
Braconnages philosophiques
Dans sa Philosophie sentimentale, flânerie autour de ses quelques auteurs de chevet et des phrases qui nous restent d’eux quand nous avons tout oublié, Schiffter aurait d’ailleurs pu citer Jacques Dutronc : “J’aime les filles de chez Castel / J’aime les filles de chez Régine / J’aime les filles qu’on voit dans Elle / J’aime les filles des magazines.”
Schiffter fait partie de ceux qui pensent que les jeunes filles aident à supporter l’immonde et que la plus touchante des réponses, quand un journaliste demande à une actrice, Brigitte Bardot en l’occurrence, quel est le plus beau jour de sa vie, est : “Une nuit.” Et de nous rappeler, en écho, la pensée de José Ortega y Gasset : « L’amour est la tentative d’échanger deux solitudes. »
Schiffter n’écrit pas de manuel pour être heureux, encore moins d’antimanuel pour se palucher sans entraves. Avec Schopenhauer, il sait que « L’histoire d’une vie est toujours l’histoire d’une souffrance » et L’Ecclésiaste lui est un précieux compagnon de déroute : « Ne sois pas trop juste, ne pratique pas trop la sagesse : pourquoi te rendre ridicule ? »
Aux figures imposées des philosophes élyséens et autres rebelles de Caen, il préfère les braconnages hors des lopins balisés. Déjà, lorsqu’il était étudiant, il choisissait Jean-Patrick Manchette et Raymond Chandler plutôt que Kant ou Levinas. La philosophie, c’est aussi un roman noir. Question de style et de plaisir lui qui, avec Pessoa, se souvient qu’il est essentiel de « vivre une vie cultivée et sans passion, suffisamment lente pour être toujours au bord de l’ennui, suffisamment méditée pour n’y tomber jamais. »
Les temps retrouvés
Avec sa Philosophie sentimentale, Schiffter offre un livre de l’inquiétude, du temps perdu et du temps retrouvé. Le temps, pour le philosophe, est une arme de guerre à l’heure du règne des VRP, des DRH, des VIP. Le temps et la lenteur, toujours, contre les sigles et les acronymes. Nietzsche ne disait pas autre chose : « Celui qui ne dispose pas des deux tiers de sa journée pour soi est un esclave. » Le temps, chez Schiffter, est celui de l’ennui enchanteur et des fugues chez Montaigne, Chamfort ou, plus récemment, chez Michel Houellebecq. C’est aussi le temps du flirt et des corps amoureux, des lunettes noires et de la plage loin du bavardage des fâcheux et des bonnes femmes.
C’est enfin le temps des larmes. Schiffter est né en Haute-Volta en 1956 : il ne connaitra la France qu’à dix ans, après la mort de son père. Et il faut lire, dans Philosophie sentimentale, ces pages sur le coeur mis à nu d’un orphelin à perpétuité, quand surgissent les silhouettes bouleversantes de ce père mort beaucoup trop tôt et d’une mère malade, qui boit un peu trop, une mère aux gestes “beaux comme les tremblements des mains dans l’alcoolisme”, selon la formule paradoxale et poignante de Lautréamont.

Frédéric Schiffter, Philosophie sentimentale, Flammarion, 2010
Papier paru sur Causeur.fr, le 19/09/2010.

mercredi 15 septembre 2010

Du soufre au coeur, de Frédéric Paulin et de quelques autres inclassables ...



Mon Soufre au coeur, finalement, fut un livre de plage.
Fin de la terre, puis à Evian, je reçus les mots magnifiques de deux amis.
Jérôme Leroy, dans Valeurs actuelles - avec ma gueule pleine page, ce qui fit sourire joliment ma grand-mère sur son lit de souffrance :
http://www.valeursactuelles.com/culture/guide-livres/soufre-au-coeur-d%E2%80%99arnaud-guern20100729.html
Philippe Lacoche, dans Spectacle du monde :
http://www.lespectacledumonde.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=328:livres569&catid=45:livres&Itemid=70#5
Il y eut aussi Ludovic Maubreuil, un long et beau papier dans Le magazine des livres.
Il y eut encore Frédéric Schiffter qui, sur son blogue, fit de mon roman un des détails d'une hopperienne invention érotique.
C'est ici : http://lephilosophesansqualits.blogspot.com/2010/08/un-detail.html
Et puis, enfin, un dénommé Jean-Baptiste Fichet, sur Parutions.com, parle ces jours-ci de nos "beaux lambeaux de vie" :
http://www.parutions.com/index.php?pid=1&rid=1&srid=121&ida=12658
Les Inclassables, pourtant, c'est fini. Le dernier roman de cette collection - où j'ai pu rééditer notamment les nouvelles de Paul Gégauff - vient de paraître. Ca s'appelle La dignité des psychopathes. C'est signé Frédéric Paulin et c'est à lire urgemment pour qui aime la langue d'Audiard et les dérives, du côté de Sigmaringen entre autres, au coeur des ombres de l'histoire et de ceux qui s'y perdent.
Avant de remettre ma peau sur la table du roman, laissant infuser les mots, les silhouettes, je lis. J'aime, un peu ; je m'en tamponne beaucoup. J'aime la Philosophie sentimentale de l'ami Schiffter, flânerie que je saluerai bientôt sur Causeur.fr. J'aime les nouvelles de Jean-François Coulomb, Vendanges tardives (L'Editeur) : c'est troussé à la hussarde, stylé à mort, avec des femmes fatales et classieuses, des héros morandiens, des baroudeurs de charme et beaucoup de champagne, de vodka pamplemousse et autres breuvages qui rendent l'immonde moins laids. J'aime, si longtemps après la petite musique de Camille (Bartillat), Fruits et légumes (Albin Michel) d'Anthony Palou : une enfance triste et seventies sous le ciel gris de Quimper, sous le soleil de l'Espagne. J'aime le Jardin d'hiver (Table Ronde) de Thierry Dancourt, lointain cousin de Modiano qui esquisses des hôtels abandonnés en bord de mer, de belles amoureuses perdues, de grandes maisons habitées par des jeunes filles malades. Et il y a Houellebecq, si tranquillement dans le vif mélancolique du réel, son oeil et sa langue faisant de La carte et le territoire (Flammarion) le roman parfait de la France d'après, c'est-à-dire du jour. Et il y a François Taillandier, Time to turn (Stock) finit dans la grâce efficace sa saga La grande intrigue. Et il y a Brett Easton Ellis dont la Suite(s) impériale(s) (Robert Laffont) nous dit, avec la violence froide d'une lame tailladant les veines d'une call girl, la mort dans l'âme des golden boys à bout de souffle des années 80.
L'été s'en va lentement, beauté pas morte, littérature suit ...

Comme dans un poème de Valery Larbaud




C'était un bel été.
Le bleu Monory du ciel.
Les rayons qui aiguillent les arabesques de la chaleur.
Le lac Léman et son eau calme comme dans un poème de Valery Larbaud.
La plage loin de la foule.
Les lunettes noires pour se retirer, encore plus, de l'immonde et de ses bruits de bettencourt, de woerth, de chasse aux roms.
Les lunettes noires pour lire Les saisons de Roger Vailland de François Bott (Grasset, 1969) et Le soleil se lève aussi de Hemingway.
Les lunettes noires, les ajuster, les retirer, te regarder et te dire, quand tu reviens de quelques longues minutes de nage, les mots les plus beaux, les mots au plus près de ta peau hâlée, te parler de tes boucles brunes aux reflets presque blonds à baiser sans fin, te parler de tes yeux de violence amoureuse et de fragilité mêlées, de tes lèvres à l'aube, l'après-midi, autour de minuit, te parler de la winston light que tes lèvres emprisonnent, que tes lèvres embrasent tel un baiser parti en fumée, te parler de tes seins et de la pointe si délicate de tes seins, te parler de ton cul et des féeries nés de lui, te parler de tes jambes, cette oeuvre érotique d'un dieu obsédé de toi, ce compas de mes déséquilibres et de mon harmonie, te parler de tes pieds qui rendent plus fou que les fous.
Les lunettes noires, comme la nuit qui vient, et les feux follets en terrasse et le vin blanc qui coule et l'ivresse légère et les corps amoureux, sans fin.
C'était un bel été.

mardi 14 septembre 2010

Les biches, une fin d'été




Oublions les sinistres crétineries autour de la mort de Chabrol.
Imaginons son dernier éclat de rire vachard devant les hommages de Christophe Girard ou du valet de l'UMP Xavier Bertrand qui a salué, avant tout, ses talents d'acteur ...
Souvenons-nous que Chabrol n'était ni un "humaniste" - comme l'a affirmé de ses lèvres pincées la toujours sinistre et sans charme Isabelle Huppert - ni le joyeux drille de la Nouvelle vague.
Chabrol, c'était un dandy rondouillard et très français d'extrême-gauche, bourgeois déniaisé sur l'homme et la femme, le bien et le mal, par Paul Gégauff à la fin des années 50, Gégauff grâce auquel il a pu taper avec férocité et violente drôlerie sur les précieux ridicules du temps et de l'esprit.
Dans toutes les nécros de Chabrol, Gégauff est le grand absent. Personne - à l'exception du camarade Leroy, sur Causeur.fr - n'a parlé du scénariste des Bonnes femmes, des Cousins, de Que la bête meurt, du terriblement anar et quasi Audiardesque Docteur Popaul.
Rohmer déjà, à la mort de Truffaut, s'était énervé contre cette guillotine du silence qui, depuis si longtemps, touche Gégauff.
Gégauff était à la fois trop raffiné et trop grande gueule, trop populo et trop aristo, trop stylé et trop réactionnaire. Ses interviouves des années 70 sont des festivals de fulgurances, pamphlet et poésie à vif à la fois. Le 7e art morflait, en plein dans la gueule de sa prétention.
Gégauff est mort en 1983, poignardée par sa femme une nuit de Noël; Chabrol a alors fait du Gégauff sans lui, le coeur un peu usé, le regard fatigué.
Des films des dernières années restent en mémoire Les masques sur les hypocrisies de l'univers TV, la décontronction acide de Poiret dans les Lavardin - et les seins de Pauline Lafont -, la silhouette cabossée de Gamblin dans la Bretagne brumeuse d'Au coeur du mensonge et puis des personnages ratés d'écrivains pervers et libertins - il fallait la plume de Gégauff pour les réussir, ceux-là ... - et puis Dutronc dans Merci pour le chocolat et puis Laura Smet nue et les cheveux mouillée par la pluie - Une demoiselle d'honneur - et puis la tyrannie evajolyenne de la juge de L'ivresse du pouvoir.
C'était toujours légèrement mal ficelé, baclage assumé des intrigues et des personnages qui n'empêchait pas le clou de se planter, de faire mal juste ce qu'il faut. Ca donne envie, ce soir, de revoir Les Biches.
Parce que Gégauff.
Parce que Jacqueline Sassard sur le pont des Arts.
Parce que Jacqueline Sassard dans son bain, sa jambe sortant de la mousse.
Parce que la classe infinie de Stéphane Audran.
Parce que Trintignant aussi.
Parce que le sud.
Parce que la vue sur la mer.
Parce que la douceur et les éclats des choses de la vie.
Parce que l'amour, la petite mort.
Parce que l'été s'en va, lentement, mais la peau des héroïnes, toujours, est le grain de beauté qui nous aimante.

jeudi 9 septembre 2010

Remember Le déclenchement muet des opérations cannibales ...


C'était il y a longtemps dans une revue qui devait s'appeler Le Journal de la Culture. Je signais chaque mois un "A ma guise". Je parlais des livres aimés, des silhouettes enchanteresses, de tout ce qui me plaît. J'avais donc parlé du premier recueil de poèmes de Jérôme Leroy, édité par Olivier Frébourg aux Equateurs : Le Déclenchement muet des opérations cannibales. C'est à un livre lire, à relire avec, à la suite, Un dernier verre en Atlantide (La Table ronde) et Physiologie des lunettes noires (1001 nuits). Histoire de ressentir, donc de comprendre, la géographie intime et sentimentale d'un desperado du monde d'avant.
Le mercenaire de la grâce
30 degrés et des poussières, l’ombre se planque, c’est l’été. En terrasse, je bois des demis, allume une bastos et goûte les mots de Jérôme Leroy.
L’ombre – son couteau froid et ses doigts de fée -, je la trouve dans Le déclenchement muet des opérations cannibales. Des poèmes, des récits, des lambeaux d’homme à l’heure de la fin du monde.
La fin du monde ? Comme Céline, JG Ballard ou Dominique de Roux, Leroy l’a sous les yeux : les villes cassées de notre enfance, la douceur des saisons passées par les armes, la négation permanente de la beauté des lucioles. Face à ça, le poète, en mercenaire classe de la seule grâce, se promène, se souvient et sourit. Ses pas l’amènent dans les rues de Pékin et d’Abbeville, de Lisbonne ou de Saint-Malo. Et son sourire fait apparaître d’autres sourires, d’autres silhouettes. Scarlett Johansson dans Lost in Translation, dans Match Point – « La fin du monde viendra / Et elle aura les yeux / de Scarlett Johansson » -, Asia Argento et son angélique tatouage dans New rose Hotel, les jeunes filles à la peau bronzée qui, en Bretagne et ailleurs, « quittent la plage en scooter ».
Que dire, aujourd’hui, à ces Lolita du temps qui passe ? Leur parler de ce « blues de chinois » qui étreint les derniers dandys, du groove si sexy de Marvin Gaye, des belles fugitives de 40 ans. Leur parler des amours qui naissent dans le reflet de cristal d’un verre de pouilly fuissé et surtout, surtout, prononcer ces mots : « Nous avions des terrasses / Pour l’indolence et le bonheur / L’amitié avec l’espace / Pour le plaisir et la nuit / Le vin blanc glacé et les cohibas / Pour la lecture de Pasolini / Pour caresser les bras des filles. »
En terrasse, je bois des demis, j’allume une autre bastos. Je suis, comme Leroy, « un pâle fantôme français » un peu saoul rêvant, pour s’achever, de bouffer la chatte de Catherine Spaak.

Une fille pour l'été


Les jeunes filles, toujours les jeunes filles.
Que font-elles, sous le soleil des vacances, allongées sur leurs serviettes pleines de sable ?
Elles portent des lunettes noires, bronzent seins nus, remplissent des grilles de mots fléchés, laissent leur esprit dériver vers quelques envies inavouables – bel inconnu à embrasser, ivresse douce, nuit d’amour à la belle étoile.
Proposons leur un peu de son, des mélodies du monde d’avant à écouter sur leur Ipod ou autre Itruc: Sea sex and sun de Gainsbourg, J’aime regarder les filles de Patrick Coutin ou L’amour à la plage de Niagara.
Proposons leur aussi de découvrir l’art de la fessée tel que le raconte Jacques Serguine dans son roman coquin L’été des jeunes filles.
Parlons leur, surtout, de Roland Jaccard et de ce bijou qu’est Une fille pour l’été.
Sexe, sarcasmes et mélancolie
Homme des flirts en hiver, des escapades viennoises à la poursuite de Karl Kraus et du « rire du diable » quand le diable à la frange de Louise Brooks ou d’une lolycéenne du Soleil Levant, Jaccard fait sonner la langue avec la précision d’un sniper classieux : « Paris me pesait. Nous étions début juillet. Comme chaque année, je me demandais comment affronter le grand vide de l’été. » Pour éloigner, le temps d’une saison, son suicide programmé, Jaccard avance sa pièce maîtresse : « Une étudiante aux Beaux-Arts que je connaissais à peine, Shade, m’avait accompagné au cinéma Action Christine pour voir le film de Rokuro Mochikuzi : Onibi le démon. Nous avions distraitement échangé quelques baisers. Au moment de nous quitter, je lui avais dit : “Et si nous partions pour Tokyo ?” Pour seule réponse, j’avais senti sa langue frétiller dans ma bouche et ses doigts caresser mon sexe. ».
Direction Tokyo donc, où l’ombre érotique d’une certaine Asako est partout, où l’histoire d’amour ne commence pas. Chez Jaccard, l’amour est un échec et mat désabusé – « Je jouerai à être ton premier amour et toi à être mon dernier » – où les amants ne se retrouvent, bien plus tard à Paris, que pour voir Eyes wide shut de Stanley Kubrick. Le film ne plaît pas. La faute à Tom Cruise – Nicole Kidman fumant de l’herbe en caraco blanc est, quant à elle, d’une sensualité qu’elle n’offrira plus. La faute à Shade, qui oublie trop vite les mots de Pessoa tirés du Livre de l’intranquillité : « La vie m’écoeure comme un remède inutile. »
Incandescence triste
L’été s’en va, Shade aussi, laissant place à des « poupées frigides » et à des fantômes fragiles nommés Marie, Amélie, Mélanine ou Sylvia Plath qui écrivait : « J’ai besoin de ce qu’il y a de plus impossible, quelqu’un qui m’aime quand je me réveille la nuit. »
L’été s’en va, Jaccard croise ses vieux amis Louis Scutenaire, Charles Bukowski, Woody Allen et Ennio Flaiano, le scénariste de la Dolce vita et de Huit et demi.
L’été s’en va, il est l’heure, peut-être, du départ pour Vegas, ce voyage ultime qu’effectuait un Nicolas Cage ravagé, au plus près de l’incandescence lumineuse et triste d’Elisabeth Shue, dans le crépusculaire Leaving Las Vegas.
Pourquoi Las Vegas ? « Il y a des piscines, du soleil, de l’arnaque, de l’inanité, des jeux et ce grand jeu que nous jouons tous avec la mort. Vous le savez aussi bien que moi : la société a plus à voir avec une party de suicidaires à grande échelle qu’avec une organisation d’êtres rationnels. Ce désespoir tranquille qui nous bouffe ici, au moins dans le désert hystérico-orgiaque du Nevada nous y échapperons. »
Les jeunes filles, l’été, l’amour, la mort et, à la fin de l’envoi, Jaccard qui touche.

Roland Jaccard, Une fille pour l'été, Zulma, 2000
Papier paru sur Causeur.fr, été 2010.

mardi 7 septembre 2010

Le salut de Chinaski


Un zinc classe et cradingue
La nuit, si belle et cabossée
Mickey Rourke
Barfly des bas-fonds de Los Angeles
Poète pochtroné
Faye Dunaway
Les jambes à se damner de Faye Dunaway
La cigarette aux lèvres de Faye Dunaway
De l'alcool, toujours de l'alcool
Des éclats de rire comme des baisers
Des larmes dans les entrailles de la colère, de la mélancolie
Bukowski qui écrit, qui passe, et l'amour aussi, ce chien de l'enfer qui roule en décapotable dans la lumière triste des réverbères.

lundi 6 septembre 2010

La haine des plages







Connaissez-vous José Pierre ?
Ami des surréalistes, poète, essayiste, il est l’auteur d’un dictionnaire de poche du pop art et de nombreux romans – notamment Qu’est-ce que Thérèse ? C’est les marronniers en fleurs, salué par Mandiargues et Truffaut – où les sens sont à la fête. Frédéric Schiffter parle de lui dans ses Délectations moroses.
Le “philosophe sans qualité” nous apprend que les jolies lycéennes, auxquelles il enseigne la pensée de Clément Rosset et les mélodies mélancoliques de Françoise Sagan, aiment beaucoup La haine des plages, roman publié par José Pierre en 1980, roman qu’elles lisent et relisent sous la couette les nuits d’hiver ou, les jours d’été, parées d’un maillot de bain blanc et chaussées d’espadrilles, en terrasse d’un bistrot avec vue sur mer.
Les jolies lycéennes de Schiffter ont un goût exquis – ne doutons pas qu’elles apprécient également Le Professeur de Valerio Zurlini avec Alain Delon et la féerique Sonia Petrova. Les jolies lycéennes sont une incitation à se perdre entre les pages de José Pierre qui, en exergue, cite Francis Jammes : “Veux-tu faire se pencher vers moi comme des roses toutes les bouches de toutes les jeunes filles ?”
Un amour d’été
Nous sommes à Biarritz, un mois de juillet de la fin des années 70. Un critique d’art cinquantenaire, séducteur d’avant l’ère des boîtes à partouze, est l’amant d’une artiste photographe et tombe amoureux de sa fille de 13 ans. Avec une élégance qui fait penser au Dominique Noguez d’Amour noir, José Pierre raconte cette histoire de passion et de petite mort lente. “A mes propres yeux, ce n’est pas le moindre mystère de mon comportement amoureux que cette propension que j’ai à me trouver au même moment sensible à plusieurs femmes, même si de l’une d’elles en particulier je suis profondément épris. Un moraliste dirait que chez moi le roucouleur n’est jamais très loin du libertin ; un historien des moeurs et de la littérature que le Romantique coexiste fort bien dans mon coeur avec l’homme du XVIIIe siècle – et Werther avec Valmont !”
Dans La haine des plages, Pierre laisse la parole à la douceur et aux drames d’une saison sous les caresses. Il y a des jeux érotiques qui excitent, puis qui lassent. Il y a un film vu un soir de pluie, avec Michel Piccoli comme acteur principal. Il y a une mère qui flirte avec la jalousie. Il y a certains plaisirs du corps comme ultime résistance, déjà, à un monde de légèreté qui se meurt. Il y a surtout Cathy à la plage, sur la Côte des Basques ou sur le Rocher de la Vierge : son visage “presque en amande”, ses cheveux “d’un chatain très léger, qui lui faisait comme un nuage alentour de la tête”, ses “yeux d’un bleu tirant aux confins du gris”, ses lèvres tarmac des baisers insensés, ses épaules délicatement arrondies, ses seins de nymphette sous le bikini ou en liberté, ses jambes longues et bronzées et son art de fumer, avec l’innocence sensuelle d’une héroïne de Tom Wesselman, des cigarettes blondes.
Peut-on aimer une jeune fille ? Notre époque de procureurs ennemis de la peau et des mots répond par des procès et des listes noires. Nabokov, avec Lolita, a répondu “oui”; Gabriel Matzneff - relire Ivre du vin perdu ! - également; José Pierre et les jolies lycéennes de Schiffter aussi.
La haine des plages ancre dans le coeur de chacun, de chacune, le sourire de Cathy avant, pendant, après l’amour et la nostalgie des étés de notre éducation sentimentale.
José Pierre, La haine des plages, éditions Gallilée, 1980
Papier paru sur Causeur.fr, été 2010