jeudi 7 juin 2007

Sombres nouvelles du « monde d’après »

Etiqueté « néo-hussard » à ses débuts, rattaché au polar lors de la parution du crépusculaire Monnaie bleue puis à la science-fiction avec Big Sister, Jérôme Leroy n’est pas homme à se laisser mettre en fiches. Lecteur de Blondin et de Marx, de Céline et de Ballard, d’Orwell et de la Série noire, il a depuis longtemps déclaré la guerre du style à un temps dans lequel il est de plus en plus difficile de vivre. Qu’il signe un roman, des poèmes ou des nouvelles, toutes les armes lui sont précieuses pour mener le baroud d’honneur d’un homme libre contre une époque qui traque sans faiblir ce qui reste, en elle, de « très fugitive beauté ». Des nouvelles, Leroy nous en offre une grosse poignée avec Comme un fauteuil Voltaire dans une bibliothèque en ruines[1]. Elégantes et désespérées, elles ont la saveur corsée d’un dernier verre d’eau-de-vie avant l’assaut final du « monde d’après ». Le « monde d’après », nous dit Leroy livre après livre, c’est aujourd’hui dans nos villes et au cœur de chacun. Un monde où la démolition programmée des vieux repères se poursuit méthodiquement : de la consommation obligatoire aux délocalisations sauvages, des dérèglements climatiques à la chasse aux « déviants » de tous bords, des licenciements massifs aux violences généralisées.
Leroy ancre Comme un fauteuil Voltaire dans une bibliothèque en ruines dans ces décombres au goût de cendre. Il nous y raconte les bribes de vie cauchemardesques de héros qu’il affectionne : des professeurs de lettres, des commissaires paumés, des flâneurs épris de bonnes bouteilles, des mercenaires en rupture de causes, des demoiselles à la beauté affolante. Ils constituent une petite bande de frondeurs qui, d’une nouvelle l’autre, se parlent, trinquent, s’aiment pour oublier l’ordre du jour asphyxiant et ses gardiens aux masques de mort. L’un de ces personnages, se rappelant l’enfant qu’il fut, dresse d’ailleurs l’état des lieux de ce qui ressemble à la mise à sac de l’Histoire : « Quand j’étais petit garçon, si l’on m’avait dit que j’allais vivre dans un monde où l’on risque sa peau en mangeant, en se baignant, en faisant l’amour, un monde […] où la fête est devenue une obligation […] où l’on ne peut plus jamais être seul sans avoir l’air suspect de maladie mentale, où vouloir faire un enfant à une femme en entrant en elle est devenu obscène, alors, tu vois, j’aurais dit à ce type que j’aimais bien la science-fiction, mais que là, il y allait tout de même un peu fort. »
Avant le « déclenchement muet des opérations cannibales », il ne reste en effet que le souvenir de ce qui était, de ce qui n’est plus : une certaine douceur de vivre qui incitait, par exemple, à fuguer là où la mer fait « un magnifique miroir cuivré », un amour fou de jeunesse à ses côtés avec, dans la poche de son pardessus, une édition rare de L’Iliade.
in L'Opinion indépendante, le 08/06
[1] Comme un fauteuil Voltaire dans une bibliothèque en ruines, Mille et une nuits, 213 pages, 12 euros

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Je me souviens, je venais de finir de nettoyer cette ville pourrie, j'étais exténuée, je portais une robe de sang. J'avais fait mon temps. J'ai lu mon dernier livre en gravissant la montagne. Ensuite, je n'ai plus aimé que des musiques.

Anonyme a dit…

Crash, l'érotisme médical, le baiser sur les cicatrices, là où la peau est neuve. C'est plutôt le monde d'avant, en fait.

Anonyme a dit…

Crash, c'est le fil du rasoir

Anonyme a dit…

De la mécanique, de l'amour et des fluides naturels.