dimanche 16 mars 2014

Roland Jaccard ne badine pas avec l'amour


 
Quil se souvienne de Cioran ou quil suive, par delà le temps, Louise Brooks, quil se balade à Vienne ou quil offre des bribes de sa « vie et autres trahisons », Roland Jaccard nous enchante. Ses livres sont autant de mots de passe vers un monde de petits luxes, de nihilisme et de volupté. On a plaisir, au hasard des jours, à les relire. Notamment Une fille pour lété, récit damour triste Jaccard esquissait, très dandy, la ligne brisée des destinées sentimentales. Un texte qui, en écho, nous rappelait une fusée gainsbourgeoise : « Lamour physique est sans issue ».
On retrouve Gainsbourg, accompagnée de Jane Birkin, dans Une Japonaise à Paris, le dernier texte de Jaccard. La mélodie de Je taime, moi non plus résonne entre les lignes de ce court roman quillustre, avec grâce, Masako Bando. En une cinquantaine de pages, Jaccard nous conte la plus touchante des histoires, de passion et de mélancolie. Chez Sip, café parisien sis boulevard Raspail, George tombe sous les charme de Keiko, une jeune japonaise. Il ne croyait plus en rien ; elle voulait tout apprendre. Ils se frôlent, séloignent, se retrouvent. Dans une chambre mansardée, le long des avenues de la capitale ou au premier étage du Flore, les amoureux suspendent le temps. Il sagit doublier que Paris nest plus la ville filmée par Godard ou Rohmer ; de prendre garde, également, à la douceur des choses. Le fantôme de Richard Brautigan, dun poème, sinvite : « Lamour est plus cruel/ Que le couteau/ Dun homme/ Qui tranche/ La gorge/ De quatre enfants. » Il faut toujours croire Brautigan sur parole. Lauteur de Tokyo-Montana express a aimé Akiko, comme George aime Keiko. Il savait quon offre pas son cœur impunément.
Dans Une Japonaise à Paris, les drames et les peurs rôdent. Un serveur est surnommé Dexter. Une maladie orpheline se réveille. Un Smith&Wesson devient le meilleur ami de George. Lépilogue, on le devine, ne sera pas joyeux, malgré une Suite au Danieli, à Venise : « Quand une Japonaise vous quitte, cest la vie qui sen va. » Pas de Happy end, chez Jaccard. Dans ses mots, la beauté se moque du bonheur.

Roland Jaccard, Une Japonaise à Paris, LEditeur, 2014
Papier paru dans Causeur, mars 2014

Aucun commentaire: