Dans Causeur Magazine de septembre, notre texte autour de Nimier et des "Hussards" a été quelque peu charcuté, une grossière erreur s'ajoutant par ailleurs : Le Grand d'Espagne de Nimier n'étant en rien, évidemment, un roman. On publie ici la version originale de notre papier :
Le drame appartient à la légende des années 60, époque où il était recommandé de cramer sa vie en roulant trop vite dans des bolides toujours plus rapides. Nous sommes le 28 septembre 1962. Roger Nimier meurt dans un accident de voiture. A ses côtés, la blonde romancière Sunsiaré de Larcône. Ils se rendaient dans la maison de campagne de la famille Gallimard, éditeur pour lequel Nimier oeuvrait. Roger et Sunsiaré n’arriveront jamais à destination. Ils se retrouveront dans les pages de Paris-Match, cadavres extirpés de la tôle froissée de l’Aston Martin DB4. Nimier, ailleurs, a droit à quelques nécrologies fielleuses : il a eu ce qu’il méritait, il se suicidait à grand feu, en « Hussard » qu’il était.
Des écrivains dégagés
Les « Hussards », justement, quelle affaire. Pour certains, ils existent ; pour d’autres, ce n’est qu’une invention de Bernard Frank. En 1952, Frank est un des factotums de Jean-Paul Sartre. Dans Les Temps modernes, il sonne la charge contre une poignée d’écrivains que, « par commodité », il nomme « fascistes » : Roger Nimier, Jacques Laurent et Antoine Blondin – Michel Déon venant s’ajouter plus tard à la fine équipe. Leurs torts sont multiples : ils aiment la vitesse, l’alcool et les jeunes filles ; ils n’écrivent que pour divertir ; ils ont un certain succès ; ils sont de droite. Si Frank se moque, en dilettante, de cet art de vivre qui est d’ailleurs le sien, Sartre a des comptes à régler. Jacques Laurent l’a épinglé dans Paul et Jean-Paul, un pamphlet qui a fait rire et fait mouche. Assimiler le penseur révolutionnaire à Paul Bourget, incarnation XIXe de la bien-pensance bourgeoise : une horreur. Nimier, Laurent et Blondin seront donc infréquentables : des « Hussards » - Nimier a publié Le Hussard bleu – et des fascistes, puisqu’ils lisent des écrivains honnis tels que Morand, Montherlant et Chardonne et que leurs romans mettent en scène des miliciens, des femmes légères, des gandins à l’idéologie floue.
Une certaine idée du style
Les ouvrages qui paraissent, à l’occasion du cinquantenaire de la mort de Nimier, apportent la plus belle des réponses à Sartre. La littérature n’est ni de droite ni de gauche : elle est le style, autre nom de la pensée qui braconne sur le fil des mots. Le style : Nimier, Laurent, Blondin, Déon en ont, chacun selon son art ; Sartre n’en a pas. Il faut lire, dans le Cahier de l’Herne consacré à Nimier, le texte de Gérard Guégan, homme qui n’a jamais oublié la rage à son cœur « rouge ». Il raconte sa découverte de Nimier – Le Grand d’Espagne - à l’ombre des bastons l’opposant à l’extrême-droite des sixties : par-delà les coups de barre de fer, la littérature considérée comme un mot de passe entre ennemis. Alain Dugrand, qui signa longtemps les meilleurs papiers de Libération, ne dit pas autre chose dans sa contribution : « Fasciste, disaient-ils ». Qu’il s’agisse du Cahier de l’Herne, de la revue Bordel ou du collectif édité par Pierre-Guillaume de Roux, on espère que ces publications vont permettre une redécouverte des œuvres de Nimier, de Laurent – sous son nom ou sous le pseudo de Cecil Saint-Laurent - et de Blondin, mais encore d’écrivains qui partageaient avec eux une passion de la langue française à l’assaut, à la caresse : Jacques Perret, Stephen Hecquet, Pierre Boutang, Pol Vandromme ou Philippe Héduy. Tous écrivaient dans des revues, dans des journaux aux noms enchanteurs : Arts, Opéra ou La Parisienne. En clin d’oeil, sans doute, quelques demoiselles cavalières se jettent à l’eau, ces jours-ci, et publient La Hussarde. Le mot de désordre de leur premier numéro : « Il n’y a pas de femmes artistes ». On a envie de les lire et, aussi, de voir ou revoir les films scénarisés par Nimier, dont parlent Eric Neuhoff dans le Cahier de l’Herne, Alexandre Astruc et Philippe d’Hugues dans Nimier, Blondin, Laurent et L’esprit Hussard. Infréquentables, les « Hussards » ? Quand ils n’écrivaient pas ou ne charmaient pas de jeunes romancières, ils trinquaient avec Maurice Ronet, Paul Gégauff et Louis Malle. Et, même morts, des plumes comme Christian Authier, Claire Debru, Florian Zeller ou Thibault de Montaigu, sans oublier notre camarade Jérôme Leroy, leurs offrent des mots classieux. On comprend la peine de Jean-Paul Sartre.
Roger Nimier, collectif, Les Cahiers de l’Herne, éditions de l’Herne, direction Marc Dambre
Le Bal du gouverneur, Roger Nimier, éditions de l’Herne
Roger Nimier, Antoine Blondin, Jacques Laurent et L’esprit Hussard, collectif, éditions Pierre-Guillaume de Roux, direction Pierre-Guillaume de Roux et Philippe Barthelet
Les Hussards, revue Bordel, éditions Stéphane Million
Il n’y a pas de femmes artistes, revue La Hussarde, n°1, éditions Rue Fromentin
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