mercredi 26 janvier 2011

Il s'appelait Ardisson ...

Dans Le Grand Journal de Michel Denisot, il y a quelques semaines, Thierry Ardisson tirait quelques lattes d'un faux pétard devant un public riant aux éclats. Les puissants du jour peuvent trembler. FMI, DSK, G20 et UE vont devoir organiser la riposte. Pour Ardisson, la provocation, c'est ce gant jeté à la gueule des tristes jours où nous vivons : le chichon en access praïme taïme.
La provocation, il est vrai, n'existe que sur petit écran et la plupart du temps sur Canal +, qu'Ardisson salue en employé fayot dans son Dictionnaire des provocateurs, 572 pages écrites par deux nègres et vendues par son altesse en personne sur les plateaux TV : « Alors, Canal +, pépinière de provocateurs ? Assurément. La liberté de ton et de forme laissée aux humoristes, commentateurs et autres chroniqueurs, le positionnement de la chaîne durant ses émissions en clair, l'esprit quelque peu rebelle qui anime les différents plateaux, l'humour caustique, ravageur, récurrent, irrespectueux des Guignols qui sévissent depuis plus de vingt ans concourrent à créer un label Canal +, une école, une philosophie. »
Entre comiques et maquerelles
En quelques lignes, tout est dit de ce pavé où les mots et les silhouettes enfumées - Gainsbourg, Bukowski, Hallier, Dutronc par exemple - ne sont jamais à la fête. De A comme Abbé Pierre à Z comme Zorro, ce n'est qu'un amas de notices biographiques à peine retouchées du ouèbe qui nous apprend que les seuls hommes ayant brillamment défié le réel sont : Stéphane Guillon, Laurent Baffie, Patrick Timsit ou Alain Chabat. Du côté des femmes, parité de partouzard ringardisé oblige : Christine Angot, Catherine Millet, Virginie Despentes. Sans omettre Paris Hilton, rebaptisée par l'ancien pubard expert du pitch : « la pouffe du paf ». Chez Ardisson, c'est « Comiques ta mère » en journée et, le soir, des patins dégueulasses roulées aux maquerelles insignifiantes du sexe triste et froid.
Pour approcher le désastre de plus près, il faut imaginer les séances de préparation du dictionnaire.
Généalogie d'un vautrage
_ Joseph, Cyril, il faut bosser vite. J'ai pris un gros chèques de Plon il y a 5 ans pour un « Dico de la provoc' » et ils m'emmerdent pour que je rende le boulot. J'écris plus de bouquins depuis que je me suis fait piquer en plein pompage pour Pondichery. J'ai pas le temps, en plus : j'écris pour le cinéma. Et pour le Dico, Kader Aoun me demande trop de flouze. J'ai besoin de vous, les gars.

_ Qu'est-ce qu'un provocateur, pour toi, Thierry ?

_ C'est un mec qui demande à un ancien premier ministre : « Est-ce que sucer, c'est tromper ? » C'est un mec qui fait pleurer cette salope de Milla Jovovich en lui parlant de son père en taule. C'est un mec qui a même pas peur de se fâcher avec Guy Bedos avant de se réconcilier avec lui. C'est une certaine idée de la classe. C'est moi, tu comprends ...

_ Sérieusement Thierry : tu vois qui dans ton dictionnaire ?

_ Regardez qui j'invite dans mes émissions, qui passent au zapping. Regardez mon best of DVD édité par l'INA.

_ Pasolini, on le met ?

_ Extra, un PD ! Je n'ai pas de fiches sur lui mais tu trouveras sur wikipedia. Balancez du PD et de la gouine. Ca accroche et ça choque, les follasses.

_ OK, Thierry. Guy Hocquenghem ?

_ Connais pas. Allez voir du côté du stand-up aussi, de Gad Elmaleh...

_ Tu trouves que c'est un provocateur, Gad ?

_ On s'en fout. Les gens l'aiment bien. Il fait rire.

_ Debord ?

_ Ouais, Debord. Les nains rock vont adorer. Debord, entre Coluche et Doc et Difool, c'est ça l'esprit.

_ Muray ?

_ Pas touche à Muray ! Il est à Lucchini.

_ Il y a Léon Bloy et Léon Daudet aussi. Ils cognaient fort sur leur époque.

_ Des antisémites, parfait ! Il ne faut pas louper Dieudonné non plus. Et Soral. Et Jésus ! Putain, je suis le meilleur sur les idées. Jésus antisémite ! Je vais le citer, Jésus, dans ma préface : «C'est l'ambition de ce dictionnaire qui permet de faire se rencontrer Jésus et Joeystarr ! » Ca déchire, non ?

_ On a compris, Thierry. Dans trois semaines, tu as tes pages.

Avis de décès
Ardisson, honteux malgré lui, n'est finalement qu'un présentateur télé, un Nikos Aliagas comme un autre. A la fin des années 70, il se rêvait pourtant Drieu la Rochelle ou Paul Morand, dandy couvert de femmes en Peugeot décapotable. C'était plutôt bien d'ailleurs les textes qu'il publiait alors : Cinemoi, La Bilbe et Rive droite, roman qui donna son nom à une revue où l'on aimait Antoine Blondin et, plus tard, à une émission dans laquelle le style était souvent à l'honneur. Dans Lunettes noires pour nuits blanches, Ardisson prenait du plaisir à donner la parole à de jeunes écrivains dont les premiers livres portaient de beaux titres comme L'Orange de Malte, L'os de Dionysos ou Feu mon histoire d'amour. Puis Ardisson a décroché. Devenir Christian Laborde ou Alain Bonnand, quêter au fond de la mine les mots les plus beaux, non merci. Mieux valait faire rédiger par d'autres ses Confessions d'un baby-boomer et un dictionnaire inutile, moche et vulgaire, entre concours de blagues Debbouziennes et dîner de cons. Une vraie provocation, pour le coup : l'avis de décès de l'homme en noir, signé de sa propre main.

Thierry Ardisson, Joseph Vebret, Cyril Drouhet, Dictionnaire des provocateurs, Plon

8 commentaires:

Jean-Jacques Fourmond a dit…

Le personnage ne mérite peut-être pas tant d'attention, mais vous citez le nom de Christian Laborde, et cela suffit à justifier toutes ces lignes.
A quand un article sur l'improbable auteur du "Lait de lune" ?

joe bassin a dit…

bravo, je vous découvre j'adore

Arnaud Le Guern a dit…

Cher Joe Bassin, je viens de passer du côté de chez vous : certaines de vos fulgurances sont réjouissantes et vos mots sur la nuque des filles, un plaisir.
Cher Jean-Jacques, j'ai écrit de nombreux papiers sur Christian Laborde, dont un - sur Pension Karlipah (pour L'Opinion indépendante de mon ami Christian Authier) - est repris dans ces braconnages.

Jean-Jacques Fourmond a dit…

Cher Arnaud Le Guern,

Merci pour cette information, mais pourriez-vous, s'il vous plaît, la préciser ?
Quand cet article sur Christian Laborde a-t-il été publié dans vos "braconnages" ?
J'ai tenté de chercher, mais, paresseux, j'ai renoncé.

Encore merci.

Bien sincèrement.

Jean-Jacques Fourmond

Arnaud Le Guern a dit…

Voici le lien vers mon papier Jean-Jacques : http://braconnages.blogspot.com/2007/03/lesprit-denfance-de-christian-laborde.html
Vous pouvez également aller du côté de son site ouèbe : http://www.christianlaborde.com/

Jean-Jacques Fourmond a dit…

Cher Arnaud,

Merci pour le message et l'article. Je vais acheter et lire le livre. Je le donnerai ensuite à mon fils.

Bien sincèrement.

Jean-Jacques Fourmond

JMT a dit…

Heureux de découvrir vos articles et votre bien séduisante manière d'écrire ! Bravo et merci.

ps : Luchini avec un seul "c" (sourire cordial)

Arnaud Le Guern a dit…

merci à vous JMT, pour la lecture et le PS