mardi 11 janvier 2011

Elle s'appelait Audrey

Parce que Frédéric Beigbeder, dans une vieille chronique que je relis, évoquait la silhouette sans vie d'Audrey à propos de la Nostalgie de l'ange d'Alice Sebold et parce que la fin, d'une beauté et d'une tristesse infinie, des Bonnes femmes de Claude Chabrol, scénario de Paul Gégauff, rappelle les offenses criminelles faites à la grâce des jolies demoiselles, je me souviens de quelques mots anciens écrits un été.

Sous les sunlight caniculaires d’août, les cadavres se ramassent à la pelle. Sur les trottoirs, dans les fourrés ou les terrains vagues, parfois au fond d’une rivière où gambadent quelques truites. Gendarmes, flics, pompiers, volontaires organisent des battues. Les experts parlent d’ADN, d’empreintes. Le bon peuple demande de l’aveu, des confessions intimes et le retour de la peine capitale.
L’aveu m’intéresse peu. Ce qui m’importe, ce qui m’est capital, c’est tout ce qu’il réverbère : les ombres du portrait robot, les phrases volées lors d’une conversation de bistrot, les visages sculptés au seuil d’un commissariat, les photos qu’on ressort quand tout est trop tard, quand le drame a eu lieu.
La photo d’Audrey par exemple. Au cœur des faits divers - ces lambeaux de tragédie -, il y a souvent une fée, une petite fille, une Lolita appâtée, déchirée et sacrifiée.
Le 5 août 2003, Audrey revenait, en début d’après-midi, du marché de l’Ile de Ré. Elle y avait aidé son père à vendre ses huîtres. Elle avait vu quelques copains, quelques copines. Ils passeraient la chercher, après sa journée, pour boire un verre en terrasse. Audrey avait tout prévu. Une fois arrivée à la maison, elle se reposerait un peu. Elle lirait quelques pages de L’amour fou d’André Breton.
Audrey pensait à André Breton, à l’amour fou qui tombe du ciel, à l’amour fou qu’elle attend, quand le type l’a abordée. Il la suivait depuis le marché. Ou alors il l’avait surprise en route. Ou peut-être il la connaissait depuis longtemps. Peut-être était-il un « proche », un « familier ». Le type a demandé du feu. Ou il a beuglé « Ferme ta gueule connasse ou je te crève ! ». Ou il n’a rien dit. Il a tapé tout de suite. Il a cogné encore puis il a tripatouillé le corps apeuré. Il ne s’est plus arrêté, le type. Il était ailleurs, barré, bon pour les Assises.
Le lendemain matin, un promeneur a retrouvé le cadavre d’Audrey. Audrey avait 16 ans. Elle était brune, belle et discrète comme peuvent l’être, parfois, les lycéennes en vacances. Elle a été frappée, violée puis étouffée.
Le Ministre de l’Intérieur, n’ayant rien à dire, a adressé « personnellement » ses condoléances à la famille. Dans un mois, dans un an, le pauvre type au trou, le même Ministre adressera sûrement « personnellement » ses félicitations aux enquêteurs qui auront permis l’arrestation du zigouilleur d’Audrey.
Les Ministres ne devraient jamais s’approcher des fées. Même mortes, il les salissent.

1 commentaire:

Les nouvelles d'Arsel a dit…

Un blog que m'a proposé un ami...Et je l'en remercie, je reviendrai... A +