lundi 22 octobre 2007

La solitude du salarié au moment de l’embauche

Les slogans politiques à la mode l’affirment : « Il faut aimer nos entreprises » et ne pas rechigner à « travailler plus pour gagner plus ». De tonitruantes déclarations qui méritent qu’on s’y intéresse de près. Une tâche à laquelle les romanciers français se sont attelés depuis longtemps. Chacun peut relire avec bonheur les œuvres sans concession de René-Victor Pilhes - L’imprécateur -, François Salvaing - La boîte – ou, dernièrement, La question humaine de François Emmanuel. Prenant la suite de ces auteurs, Guillaume Noyelle dissèque à son tour l’entreprise, et les corps tristes qui s’y agitent, dans Jeune professionnel (Bartillat).
Quand il achève ses études, Guillaume porte nonchalamment une lassitude Houellebecquienne à la boutonnière : « Il fallait bien masquer l’ennui, la paresse attentive des étés au bord de la mer, dans le Morbihan. » Connaissant les règles du jeu, il trafique son curriculum vitae afin de répondre à une offre d’emploi. Rapidement, il est embauché comme International legal coordinator dans une société en pleine santé financière : « Je parlais de mon entreprise avec fierté […] J’étais content, c’était peut-être le bonheur. » Tout se passait tranquillement quand sa petite amie s’en est allée, lâchant : « Tu n’es pas quelqu’un d’exceptionnel ». Les journées de Guillaume se sont alors résumées à un fast food du soir partagé avec sa mère et à la vie de bureau. Une vie que Jeune professionnel épingle, sans haine et sans violence, de ses notations ciselées. Des blagues grasses du vieux collègue aux interminables Friday meetings sans intérêt, de fantasmes lointains en étreintes tièdes entre les bras d’une voisine d’open space : rien ne manque au tableau de chasse de Noyelle qui n’oublie pas, non plus, de faire un sort à celle qui aura sa peau : « On ne peut pas décevoir au premier abord mais déplaire, ce qui est moindre. D’emblée, Véronique paraissait sûre de sa valeur, une valeur surévaluée, spéculative. » Une fois licencié, ne restent que quelques souvenirs en clair-obscur : un exemplaire de Claire de Chardonne feuilleté aux toilettes, la silhouette fugitive d’une jeune fille « à l’allure disloquée » et une sentence qui paraphe la misère de la vie salariale : « A force de paraître, on finit par être. »
in L'Opinion indépendante, le 19/10/2007

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