
"Le spectateur, qui se soucie du nom des scénaristes comme de son premier pop-corn, n'a sans doute jamais entendu parler de Paul Gégauff. Celui qui écrivit une quinzaine de films pour Chabrol se pommade malicieusement dans une réplique de Que la bête meure : «Nathalie Sarraute, Butor, Robbe-Grillet, même Gégauff, on aime ou on n'aime pas, mais ça va quand même loin.» Façon de rappeler qu'il avait débuté par quatre fictions, aux Editions de Minuit, dans les années 50. Moins nouveau roman que nouvelle vague, Gégauff travailla aussi pour Rohmer (Le Signe du lion), Clément (Plein soleil), Godard (Week-End) ou Barbet Schroeder (More). Le cinéma comme planche à billets, la littérature comme danseuse. De lui, on réédite Tous mes amis, des nouvelles drôles et noirâtres parues en 1969, préfacées à la hussarde par Arnaud Le Guern. On s'y envoie des crêpes flambées et du rhum rose, on passe de l'Eure à Papeete ; les feux follets Maurice Ronet et Christian Marquand sont cités. Roger Nimier vantait, chez l'animal, «un style vif où la pensée saute d'un mot à l'autre comme une puce» ; il avait raison. Provocateur, mufle, étincelant, royal au bar, Gégauff restera comme «le Brian Jones de la nouvelle vague» (dixit Bernadette Lafont). Plus grand que la vie, il se foutait de tout. «Tue-moi si tu veux, mais ne m'emmerde pas !», avait-il balancé, un jour, à sa dernière femme, de trente-cinq ans sa cadette. En 1983, elle lui mit trois coups de couteau fatals. Gégauff est mort en Norvège, une nuit de Noël, à 61 ans. Le spectateur est prié de s'en souvenir."