samedi 17 novembre 2012

Quand Frédéric Beigbeder parle d'Une âme damnée : Gégauff est le Hussard de minuit


Notre plaisir de cette fin de semaine : les mots de Frédéric Beigbeder, dans sa chronique du Figaro Magazine, sur Une âme damnée et Paul Gégauff. Sur la photo ci-dessus, Frédéric est accompagné d'un autre dandy de la Cote Basque : le "philosophe sans qualités" et surfeur stylé, Frédéric Schiffter. La photo provient d'ailleurs du blogue dilettante, balnéaire et sexy de Schiffter : http://lephilosophesansqualits.blogspot.fr/. Les mots de Beigbeder, c'est ici :
"Arnaud Le Guern s'est pris de passion pour Paul Gégauff, après Jean-Edern Hallier (Stèle pour Edem, 2001). Il l'admire pour de mauvaises raisons, mais lit-on pour de bonnes ? Une génération perdue succède à l'autre... et la nouvelle se cherche des modèles parmi les morts qui la précèdent. Paul Gégauff (1922-1983) : scénariste inégal, romancier méconnu, fêtard extravagant et séducteur assassine. Sa vie semble fasciner Le Guem davantage que son œuvre. Cet esprit impertinent fut tué par sa petite amie de trois coups de couteau, en Norvège, le soir de Noël 1983. Il faut dire qu'il l'avait bien cherché : « Tue-moi si tu veux, disait-il, mais arrête de rn 'emmerder. » Certaines phrases ne se prononcent pas à la légère.
Arnaud Le Guern a retrouvé la meurtrière, aujourd'hui quinquagénaire et nostalgique... C'est un des moments les plus émouvants de son portrait. Burroughs et Althusser ont tué leur femme, mais je ne connais pas d'autres écrivains assassinés par leur épouse (à part Pasolini) (non je déconne). Gégauff savait qu'il finirait mal. Il se déguisait en nazi dans les surprise-parties bien avant Sid Vicious et le prince Harry d'Angleterre. Il était un Pascal Jardin en plus alcoolique, drogué et misogyne. Son caractère flamboyant et excentrique manque à notre époque. Il publia quatre romans saganiens aux Editions de Minuit dans les années 50, rata son unique long-métrage (Le Reflux),mais donna des dialogues géniaux à seize films de Claude Chabrol, deux d'Eric Rohmer et à Plein soleil de René Clément. Ses facéties, sa liberté de ton, sa folie inspirèrent le Michel Poiccard d'A bout de souffle de Godard (interprété par son ami Belmondo). Il joua des petits rôles chez Vadim, quand Vadim était au sommet de sa gloire. Il fut un feu follet, comme son ami Maurice Ronet. Il troussait des phrases cyniques de libertin désespéré à la Vailland : « Toutes les femmes sont laides dès qu'on n'en a plus envie, et le monde est rempti de jolies filles devenues laides pour un homme qui a cessé de les aimer. »
Arnaud Le Guern aussi a du style : « il organise des fêtes où la débauche est une muse », « les quais de Seine sont le territoire des délaissés de l'aube ». Son livre est allègre comme celui de Frédéric Martinez sur Paul-Jean Toulet. Il donne envie de revoir ces films insolents : Les Bonnes Femmes, Les Godelureaux, Les Biches... et de lire Les Mauvais Plaisants ou Une partie de plaisir, les romans d'un homme qui se disait de droite par provocation. Une manie qui pourrait bien revenir à la mode."
Figaro Magazine, le 16/11/2012

dimanche 11 novembre 2012

Une âme damnée, Paul Gégauff : ne pas oublier Bertrand de Saint-Vincent

On a évoqué les derniers papiers parus sur Une âme damnée et Paul Gégauff. On avait oublié de citer un petit bijou signé Bertrand de Saint-Vincent qui, dans son texte, mêle notre flânerie et Patrick Modiano. C'est dans Le Spectacle du Monde d'octobre et c'est ici :

"Par coïncidence, paraît au même moment (que L'Herbe des nuits) le récit de la vie d'Une âme damnée, Paul Gégauff, personnage sombre dont les fêlures font songer à l'univers de Modiano. Cet irrégulier, "terriblement doué, mais socialement peu compatible", confia Claude Chabrol dans ses Mémoires posthumes, fut poignardé le 25 décembre 1983 par sa jeune compagne. Egoïste, paresseux, provocateur, cet ami de Maurice Ronet, scénariste de Chabrol, Rohmer, René Clément cultiva jusqu'à l'excès une mauvaise réputation d'alcoolique mysogine et de salaud facho : "C'était un homme de l'amer, des paysages, un buveur, un amant des Lolitas et des femmes fatales", écrit Arnaud Le Guern. D'une plume légère et dansante, semblable à la fumée de la cigarette que son modèle arbore en couverture, ce vagabond littéraire a "braconné autour de sa silhouette et de ses mots" : "Gégauff est ma Dora Bruder", clame-t-il. Une herbe folle dont il dédie cette élégante et nonchalante peinture à la femme de sa vie, Miss K, qui, dans sa chambre de l'Hotel Flaubert, à Trouville, lit Claire, de Jacques Chardonne."

samedi 10 novembre 2012

En novembre, Une âme damnée et Paul Gégauff bougent encore ...

On était un peu ailleurs ces derniers temps. Il y avait l'océan, la campagne, le vent violent, la pluie et ce soleil pâle qui, toujours, nous touche au plus près. Le jour des morts, c'est au Conquet, extrême fin de la terre, que nous avons acheté Libération. Dans les pages "Livres", le très talentueux Antonin Iommi-Amunategui qui, quand il écrit, parle de nos amis Leroy et Lapaque, et qui aime la bonne chère et les bons vins, signe un papier classieux sur Une âme damnée :

"Arnaud Le Guern, 36 ans, a composé ce livre nyctalope, entre balade biographique, autour d’un homme disparu en 1983, délicieusement méconnu, Paul Gégauff, et digressions personnelles. Lui-même, Le Guern, buveur exigeant de livres et de films «oldscoule», écrivain presque jeune, demi-dandy paumé en 2012, soupèse sa vie en regard de celle de Gégauff. Pas évident, quand Paul Gégauff a été le scénariste de Chabrol, de Rohmer, de Schroeder, l’ennemi goguenard de Truffaut (à qui il aurait directement inspiré le personnage principal d’A bout de souffle, écrit par Truffaut avant d’être tourné par Godard, autre bon copain de Gégauff). Que la bête meure et Plein soleil, c’est encore Gégauff ; cet homme pour qui Sagan ou Vadim avaient beaucoup d’estime, des amitiés particulières. Et que même un Johnny Hallyday appelait son «maître à penser». Gégauff qui jouait du piano pour Mick Jagger ou Marlon Brando. La liste est longue comme les jambes de Caroline Grimaldi, l’autre princesse de Monaco, que Gégauff refusera de draguer un soir, parmi d’autres.
Gégauff a ainsi frayé avec deux ou trois cliques fameuses, qu’il semblait dominer pourtant, et écrit des livres, des films ; il les écrivait très vite, pour pouvoir se consacrer à la vie, aux mille instants. Sans cesse «défaire l’immonde sur un coin de table». Pratiquant «un dandysme de fin du monde», il était surtout de ces rares nostalgiques du présent, «le bel aujourd’hui qui raye de sa mémoire les flamboyants et les insoumis». Ce présent sans éclat, que Gégauff s’échinait à bousculer, à électriser au moindre mot. A la manière d’un clown imprévisible, grossier avec talent, trop intelligent pour être triste. Quitte à passer parfois pour fou, fasciste, ou tout ce qu’on voudra. Quand 1968 bat le pavé, Gégauff écrit plutôt des scénarios de «révolution dans les chambres à coucher». Jamais dans le rang, quel qu’il soit, il préfère le plaisir au bonheur, fût-il collectif. Il est de cette «race de desperados n’ayant que mépris et coups tordus à jeter en pâture à [son] époque». Dernier anarchiste, dernier Mohican ? Homme libre, en fait, irrespectueux par principe. «Il est comme le ver dans le fruit de cette société délicieusement pourrie : à l’aise mais pas dupe.» Et surtout vivant, au point de se faire, enfin, à 61 ans, poignarder trois fois par son épouse de 25 ans, à qui il venait de donner un enfant. Bien sûr, il en meurt : il fallait ce finale, à hauteur de comète, comme le bonhomme.
D’ailleurs, une société moins lisse donnerait peut-être son nom à quelque ruelle. Voire à tout un boulevard. Pour l’emmerder un peu, Gégauff, le charrier à son tour, tendrement. Et parce que «la vie, finalement, ressemble à un film de Rohmer dialogué par Gégauff». Pas pour tout le monde, certes. Il n’empêche, «l’important, c’est la parole vivante, c’est le style». Et la vie de Gégauff, généreusement servie par Le Guern, déborde le livre, rappelle toutes nos monotonies à l’ordre, les éclabousse de puissantes couleurs. On risque d’être touché."
 
On a lu et relu Amunategui et puis on n'a pas oublié que, avant, il y avait eu un sourire très chic d'Elisabeth Quin dans son Agenda du Figaro Madame, un long texte de Laurence Biava sur La cause littéraire (http://www.lacauselitteraire.fr/una-ame-damnee-paul-guegauff-d-arnaud-le-guern.html), la langue précise de Bernard Morlino faisant, sur son blogue http://www.blogmorlino.com/, d'Une âme damnée "Un presque chef d'oeuvre", notre camarade Philippe Lacoche dans Le Courrier picard (http://blog-picard.fr/dessous-chics/non-classe/le-dandy-surdoue-du-cinema/), un Choix de Valeurs Actuelles (http://www.valeursactuelles.com/culture/guide-livres/une-%C3%A2me-damn%C3%A9e-d%E2%80%99arnaud-guern20121011.html) par Alfred Eibel ou encore des recensions très sympathiques sur Sens Critiques (http://www.senscritique.com/livre/Une_ame_damnee_Paul_Gegauff/8193708/critiques), Fury Magazine (http://www.furymagazine.fr/article-odd-111357710.html) et Senior Evasion (http://www.seniorevasion.fr/coups-coeur-coups-gueule/2012/11/01/une-%C3%A2me-damn%C3%A9e).
On les remercie tous, infiniment, pour leur salut à Gégauff et à notre flânerie. Et on remercie aussi un(e) certain(e) Agathe de Lastyns qui, sur Le Con Littéraire, nous fait la leçon pour une coquille et pour n'avoir pas écrit le livre que, elle ou lui, souhaitait lire : http://www.lelitteraire.com/?p=3471 Au boulot, donc, Agathe : troquez votre bic de plomb de critique pour rédiger la biographie gégauvienne de vos rêves sévères et tristes.