lundi 30 août 2010

Dans le café de la jeunesse perdue


Dans le café de la jeunesse perdue,
au hasard de l'été et des ombres modianesques,
le noir et blanc de tes mots est une caresse fauve,
coeur battant, corps amoureux et temps suspendu,
comme un dimanche soir à Trouville,
le 21 février 2010,
hôtel Flaubert,
chambre 31.

mardi 17 août 2010

Les années Mitterrand et Craven A d'Eric Neuhoff


En 1984, Eric Neuhoff prend le chemin des fugues. Il n'a pas encore trente ans. Son premier roman, Précaution d’usage, a été salué par quelques glorieux aînés. Il écrit des articles chics et rapides dans des journaux qui, aujourd’hui, n’existent plus. Il fait déjà figure de lointain cousin des hussards Blondin, Nimier et Jacques Laurent. Il est temps pour lui, désormais, de n’en faire qu'à sa fête mélancolique. C’est ce que lui demande son éditrice Marie-Hélène Orban, "de sa voix de petite fille". Un Triomphe est donc le livre d’un jeune homme en liberté qui a « appris à lire dans le Club des Cinq, dans Bob Morane, dans San Antonio, dans S.A.S. » et qui, avec le Drieu la Rochelle de Etat civil, pense que "dès le moment où la femme entra dans ma vie et occupa mon imagination, tout fut bouleversé."
"Qu'est-ce que je peux faire ? J'sais pas quoi faire ..."
Délaissant les genres qui enferment, Un triomphe est une balade dans les années 70 et dans le début des années 80. Que faire, se demande Neuhoff. Commencer par un éclat de rire, la gorge serrée, ce serait bien. Une princesse d’opérette, à la silhouette de papier glacé, vient de se marier. Et ce n’est pas avec lui. Caroline de Monaco, définitivement, est une adorable peste intouchable. Il faut tourner la page, préférer les actrices aux filles de Grace Kelly, leur écrire des lettres d'amour : "Vous êtes une idée, Isabelle, celle qu'on se fait du cinéma. Ne fichez pas les pieds dans l'existence, elle vous boufferait. Avec vous, on revient du côté des mythes et des héros. Vous êtes la preuve que les films et les femmes (c'est pareil) ne sont pas morts. Vous avez le tragique et la gaieté, la folie et la douleur, vous êtes le temps perdu, le travail, l'exil de soi, l'amour incompris (mettez des majuscules partout où vous voulez)". Adjani n'a pas répondu : elle a invité le jeune homme à dîner, oubliant toutefois de déposer sur ses lèvres un baiser de cinéma. Que faire, encore. La voix d'Anna Karina, en écho, répond : "J'sais pas quoi faire !". Neuhoff se souvient de l'adolescent provincial qu'il était, qu'il ne sera plus jamais : "Il avait besoin d'une ville assez grande pour lui, une ville livrée aux ombres, où il mangerait des Big Mac sous les néons, hélerait des taxis à l'aube, une ville où il pourrait s'oublier. Enfin". Que faire, finalement, en buvant des Gins tonic et en fumant des Craven A ? Ricaner de François Mitterrand et des socialistes qui découvrent le pouvoir. Se moquer des moeurs domestiques de Philippe Sollers. Visiter Michel Déon en Irlande. Partir en ouiquende à Trouville, dans les bras d'une brune demoiselle, et se dire que c'est l'unique remède acceptable aux tristes temps où nous vivons. Se rêver dans la peau d'un écrivain de la collaboration, Sachs par exemple, parce que l'oeuvre est là, malgré tout, et la mort au rendez-vous. Etre Bernard Frank ou rien. Dans les plus belles pages d'Un triomphe, Neuhoff se rappelle de sa découverte des Rats, la Côte d'Azur, la dolce vita, l'ivresse triste au coeur, les mots comme des fusées dans une nuit d'été. Etre Frank ou rien, c'est-à-dire écrire, l'air de rien, des petits chefs d'oeuvres dilettantes pour ne pas travailler, pour retrouver le temps. Un beau programme...

Eric Neuhoff, Un triomphe, Bernard Pascuito, 2010
Papier publié dans Causeur mensuel, juillet/août 2010