jeudi 18 décembre 2008

Trou de Val

















Philippe Val a deux défauts principaux : il pense bien - le bon, c'est lui ; la brute et les truands, c'est les autres ! - et il écrit mal.
Comme personne ne se permet de le lui dire, il continue de s'inviter sur les plateaux Télé pour postillonner ses diktats et de publier quelques dépliants indigestes : Vingt ans de finesse avec son compère chansonnier, ami des grands et surtout des petits, Patrick Font, Traité de savoir-survivre par temps obscurs où, plus crétin que facétieux, il confondait la philosophe Simone Weil avec l'ancienne ministre Simone Veil, et le dernier, au titre beau comme du Claude Sarraute d'antan : Reviens Voltaire, ils sont devenus fous.
Pourquoi coincer Voltaire, le pauvre, dans un tel traquenard ? Val croit tenir, non pas son "Affaire Calas", mais deux affaires du même tonneau qui le transforment illico en rempart démocratique contre le fascisme rampant : la publication, dans Charlie-Hebdo, de caricatures de Mahomet et le renvoi, pour antisémitisme larvé, de Siné.
Evidemment, quelques associations musulmanes ont fait un procès qu'a gagné facilement un Val soutenu par tous les pieds-pensants hexagonaux - de Sarkozy à Bayrou, en passant par François Hollande. Evidemment, Siné a lancé une poignée d'insultes qui firent la joie, un court moment, de l'opinion. Pas de quoi en faire une "nervous breakdown" aurait dit Audiard.
La France avait-elle besoin d'un Zorro, d'un Voltaire ou, même, d'un Sartre pour prendre sa défense ? Que nenni. Elle avait mieux : Philippe Val, le Zéro de la République, léger comme une grosse Bertha ou un Béhachèle : "Reculer sur des principes aussi fondamentaux que l'anti-intégrisme et l'antiracisme, à long terme, c'est ouvrir une voie royale à la fois aux intégristes et aux racistes."
Plutôt qu'un rempart, Val apparaît comme un trou où tout tombe à plat : les intentions, la réflexions, les mots. Une dernière descente, pour la route : " La mutation de l'humanité par l'accroissement de ses libertés bouleverse et bouleversera de façon irrémédiablement irréversible les arts, la politique, l'amour, l'amitié, la sexualité, les langues..."
Allo Charlie bobo, le fou, c'est Val !
Philippe Val, Reviens Voltaire, ils sont devenus fous, Grasset, 295 pages.

Papier paru dans Service littéraire, le 18/12/08.

Le site ouèbe de Service littéraire, journal dirigé par l'excellent François Cérésa : http://www.servicelitteraire.fr/

vendredi 12 décembre 2008

Au vol













_ Je vous aime mademoiselle.
_ Moi, je t'adore.
_ On adore que Dieu !
_ C'est drôle, ça me rappelle mon enfance.
_ Si vous ne m'aimez pas, je ne vous aime pas non plus ...
_ Tu es drôle mais, parfois, tu es bête.
_ Je suis drôle, bête et gentil.
_ Non, tu n'es pas gentil. Tu es beau, intelligent, pervers, cynique, doux, violent et quelques autres qualités mais tu n'es pas gentil.
_ Vous avez raison.
_ J'aime quand tu dis que j'ai raison.
_ J'ai décidé de ne plus te voir.
_ Ne me fais pas ça. Je tiens trop à toi ...


L'enfer du Nord

Qui est Gina, l’étrange héroïne de La langue chienne d’Hervé Prudon ? C’est le genre de fille qu’on rencontre au mariage d’une lointaine connaissance : «Elle avait quelque chose d’une petite bohémienne qui attend en janvier je ne sais quoi à la porte d’un supermarché dans une tache de soleil.» Entre mousseux tiède et blagues lourdaudes, elle tape dans l’oeil de Martin, dit Tintin, qui délaisse sa périphérie parisienne pour la suivre. Direction le Nord, un lopin de France où la joie a pris la poudre d’escampette. «Enfant de la classe moyenne, avec toute une éducation à refaire», Tintin essaie de délimiter, par les mots, l’étendue du désastre : «Cette Côte d’Opale – eau pâle tu parles ! - sent la moule noire et le mazout […] Le ciel blindé vous pleut de la balle dumdum chemisée métal, vous troue la tête et plombe le dos.» Gina, elle, préfère œuvrer dans le raccourci : «A part le cul et la bière, y a rien pour réchauffer les pauvres.» Le «cul», Gina le pratique un peu avec Tintin ; beaucoup avec Franck, son amant à domicile. Un drôle de ménage à trois sur fond d’ennui, de parties de Barbecue et de télévision allumée non-stop.
Le bal des paumés
Franck, gros bras et champion de char à voile, se moque de Tintin, l’appelle «Bourvil». Quand il le trouve trop bavard, il frappe. Tintin pense alors à son père, «un petit bonhomme de Sempé», se souvient d’une fugue de Gina quand le bonheur se rapprochait : «Le bleu coulait de ses yeux comme le sang noble d’une blessure.» Pour qu’infusent les douleurs, il s’enfuit sur les dunes, récite au vent des vers de Saint-John Perse et de Blaise Cendrars : «Ce n’est qu’une enfant, blonde, rieuse et triste,/ Elle ne sourit pas et ne pleure jamais». Le soir, c’est pourtant à côté du chien que Tintin s’endort.
Dans La langue chienne, l’amour et la haine se mêlent indistinctement. Il n’y a ni bons, ni mauvais, seulement des paumés qui cauchemardent un ailleurs impossible comme le font les clandestins de Sangatte. Le souvenir mal éteint d’un bébé mort-né et la violence tapie dans les corps imprègnent l’histoire d’une odeur de drame inéluctable. Rien d’étonnant : «C’est juste que le fait-divers sordide est au Pas-de-Calais ce que la tragédie antique est au Péloponnèse.»
De retour à la Série Noire – il y a déjà publié, notamment, Mardi gris, Nadine Mouque et Tarzan malade –, Hervé Prudon arrive avec, dans son baluchon, ce que nous avons toujours aimé chez lui : un désespoir d’enfant triste et une rage cabossée où l’humour torpille le langage. Les armes du poète célinien quand, se cognant à la réalité la plus noire, il tire ses dernières cartouches : «On se retrouve au bout de quelque chose, navré, désarçonné, sans arguments, de retour de croisade, on a perdu sa foi. On a vu le soleil en face, Byzance. On est à la fin de quelque chose et, à la fin des fins, il n’y a même pas de fin, et le ciel s’en va, au vent mauvais, raflé, déporté, comme ces convois de nuages plombés d’ouest en est.»
Hervé Prudon, La langue chienne, La Série Noire, Gallimard, 2008.
Article paru dans l'Opinion indépendante, le 12/12/08.

vendredi 5 décembre 2008

Barbey d'Aurevilly face à l'époque

Dans une France qui n’aime rien mieux que les commémorations, le bicentenaire de la naissance de Jules Amédée Barbey d’Aurevilly est célébré avec discrétion. On peut regretter, notamment, que les éditions de la Table ronde n’aient pas réédité Talon rouge d’Arnould de Liedekerke, la plus fulgurante des évocations du natif de Saint-Sauveur-le-Vicomte. La trajectoire complexe de Barbey - mêlant dandysme, libertinage et apologie du trône et de l’autel - ainsi que ses excès de foi semblent déranger, aujourd’hui comme hier. Un texte vient éclairer cette gêne durable, trouer le silence et situer avec exactitude l’auteur des Diaboliques ou d’Une vieille maîtresse, dans l’Histoire et dans les temps tièdes où nous vivons : Un réfractaire – Barbey d’Aurevilly, de François Taillandier.
L’art de la vérité
Taillandier est entré dans Barbey par l’enfance, celle des collégiens en pension du début des années 70 : «C’est là, un matin de fin d’hiver, que je dévore en douce L’Ensorcelée, ouvert sur mon manuel de physique, dans la collection de poche Garnier Flammarion.» Une belle image mais, surtout, un lointain souvenir quand, des années plus tard, Taillandier se replonge dans «Le Dessous de cartes d’une partie de whist», l’une des nouvelles des Diaboliques dont la lecture est soudain, pour lui, édifiante. A la lumière d’un fait-divers – l’empoisonnement d’une enfant –, la réalité se mâtine de faux-semblants, provoquant une vérité hésitante qui ne se dévoile que dans les méandres successifs du récit.
En 1997, en écho, Taillandier ouvre son roman Des hommes qui s’éloignent par une interrogation fondamentale : «Que se passe-t-il, que se passe-t-il vraiment ?». Pour lui avoir inoculé cet art de mettre en joue l’histoire qu’on retrouve dans les trois premiers tomes de La Grande Intrigue (saga romanesque en cinq volumes initiée en 2005), Taillandier salue Barbey d’Aurevilly, qu’il place à côté d’autres grands inspirateurs : «Balzac, oui ; Aragon, oui ; Borgès, oui. Mais Barbey ? Il revenait prendre place dans le panorama comme une sorte de vieux cousin fantasque ou de pittoresque oncle par alliance, qu’on a vu trois fois quand on était petit et dont on apprend un beau jour qu’il vous a légué sa maison.»
Un anti-moderne
Dans Un réfractaire – Barbey d’Aurevilly, Taillandier se ballade donc dans une vieille demeure familiale. Les œuvres sont là, lui parlent de leur auteur et de son rapport à l’époque. Dans Les prophètes du passé, Barbey évoque ainsi «des économistes effarés devant cet abîme du désir forcené de la richesse, qui se creuse de plus en plus dans le cœur de l’homme, et ce trou dans la terre qui s’appelle l’épuisement du sol.» Avec Une vieille maîtresse et Les Diaboliques, il met en scène des héroïnes dont la sensualité scandalise et dont la quête amoureuse passe par la jouissance et par la destruction. Taillandier avoue son trouble devant la Vellini, «une petite femme, jaune comme une cigarette, l’air malsain». Il partage moins l’intérêt «régionaliste» de Barbey pour la Normandie, au cœur des trois romans «de l’Ouest» : L’Ensorcelée, Le Chevalier Des Touches et Un prêtre marié. Il dresse surtout le portrait d’un homme fulminant sur les décombres de son siècle, un réfractaire dont Taillandier donne la plus éclatante des définitions : «Le réfractaire change de visage selon l’époque. Etre réfractaire est une vocation, une fatalité, ou peut-être plutôt un trait de caractère, une «affection». Une tare d’enfance. D’instinct, le réfractaire s’éloigne de ce qui prédomine. Ce n’est pas telle ou telle idée qui l’horripile : c’est le fait qu’elle soit reçue sans plus être examinée. Le réfractaire est libertin sous Louis XIV, émigré sous la Convention, bonapartiste sous Louis XVIII. Vers 1900, il est chrétien enragé, comme Léon Bloy, ou alors il se moque de tout, comme Alphonse Allais. En 1940, il est gaulliste. Il se refuse en tout cas aux génuflexions d’usage, aux lieux communs du temps, convaincu que partout et en toute occasion, ce à quoi la majorité adhère aisément devient ipso facto une imbécillité ou un mensonge. Il s’arrange immanquablement pour se placer où c’est intenable, où personne ne le comprendra ni le suivra, où les malentendus s’accumuleront, et les coups pleuvront sur la tête : il s’appelle alors Aragon ou Pasolini.»
De Barbey d’Aurevilly, qui écrivait «Je suis destiné à faire de la littérature inacceptable», à François Taillandier : le combat continue.
François Taillandier, Un réfractaire – Barbey d’Aurevilly, Bartillat, 2008.
Article paru le 05/12/08 dans L'Opinion indépendante.

lundi 1 décembre 2008

La nostalgie des Blondes

Quand elle a froid
En terrasse
L’hiver
Elle boit du vin chaud
Fume lentement
Des cigarettes
Blondes
Comme les héroïnes
Qu’il aime
Dans les films
D’Hitchcock
De Woody Allen
De Cronenberg
De James Gray
Elle parle
D'elle
De lui
Des frôlements enfuis
Elle a un rire enchanteur
Où se mêlent
L’enfance
La joie
L’envie
L’extrême sensualité
La peur
La peur ?
D’être aimée
Comme elle aime
Comme elle le mérite
Follement