mardi 30 janvier 2007

Mes bistrots


Pour oublier la laideur qui, partout, gagne du terrain, je me réfugie dans un troquet du XIVe arrondissement. Armé de mes bastos rouge, enquillant moult verres, je suis invincible, intouchable. Et surtout : je suis chez moi.
Depuis mes gamines années, j’ai toujours eu mes bistrots. Des rades poisseux, des brasseries classieuses, des zincs pleine ville. J’y passe par hasard. J’y reviens par envie. Je m’y installe par habitude. Ils sont ma garçonnière, mon home sweet home d’ivresse et de fumées.
Au comptoir, en terrasse ou affalé dans une banquette en gros cuir, j’attrape au vol des éclats de conversation. J’observe les brunes étudiantes à lunettes qui lisent Terraqué de Guillevic ou un roman de Simenon, en buvant un expresso. Je recommande un Sauvignon, rallume une cigarette. J’écris sur mon carnet Moleskine des mots doux à ma douce.
Mon premier bistrot, c’était à Brest. Il s’appelait le Recouvrance. J’y buvais des bières avec des Allemandes que j’embrassais en jouant au baby-foot. Puis j’ai fréquenté le Hamilton et ses marins, le Kérel et ses poivrots, la Gentilhommière au nom de taverne des mousquetaires.
Longtemps, tel un d’Artagnan toujours au rendez-vous, j’ai réinventé mes passions à la Gentilhommière. J’avais une table toujours prête à m’accueillir et un recoin, un renfoncement faisant office de salon, où conter fleurette, où réchauffer les corps des demoiselles. Puis je me suis glissé quelques rues plus loin, direction le Tudor. Une antre boisée calme comme l’océan avant le fracas des vents violents.
A Rennes, j’ai investi le Café de la mairie. Tous les jours, j’y débarquais vers 12h30. Une fois installé, je lançais mes ordres souriants à une serveuse pas très belle. Elle avait anticipé le coup : la bière était déjà sous mon nez. Je déballais mon vrac, mes lunettes, mes stylos, mes papelards. L’œil qui brille et le sourire mélancolique, j’achevais, je remaniais une poétique apologie du dopage, un baroud d’honneur au nom des dupés de tous bords.
La première gorgée de Pelforth passait tranquillement, la deuxième aussi. J’oubliais mes jambes lourdes, mes tremblements naissants. J’étais au septième étage d’un ciel gris : la tristesse se faisait la malle.
Je demandais une autre Pelforth à la serveuse pas très belle. Puis une autre. Et j’appelais ma fiancée. Pour qu’elle sache que ma voix est une merveille, pour lui hurler que je l’aime, que je suis un génie, que je vais très mal, qu’on va se séparer, que je suis en grande forme, que je la trompe, qu’elle me trompe, qu’elle va me quitter, que je l’emmène ce soir dans un grand restaurant, que je suis insupportable, que son cul me manque. Sa réponse était toujours identique :
_ « Tu rentres vite ? »
Il ne fallait pas me poser cette question. Je ne suis jamais rentré « vite » d’un bistrot. J’y ai toujours arrêté le temps et recommandé un dernier verre, une dernière bouteille. Histoire d’oublier l’immonde de l’autre côté de la vitre ou de contempler l’apparition d’une beauté rare, une beauté venue d’Asie.
Une beauté qui s’est posée, au milieu de la nuit, sur les boiseries sculptées des Petits papiers. Une beauté que je n’ai plus quittée et qui me rejoint, ici, dans ce troquet du XIVe arrondissement où la laideur n'existe plus.

Frédéric Berthet, l’étoile filante des lettres


Un homme qui nous laisse des phrases telles que « Voici un peu de vent et de soleil : ce qu’on aimerait exactement être » éclabousse l’époque de sa classe folle. Ils n’étaient pas nombreux à s’en souvenir quand Frédéric Berthet s’est éclipsé, à 49 ans, un jour de décembre 2003. Patrick Besson, Olivier Frébourg et quelques autres révélèrent alors le secret que peu partageaient : Berthet était l’étoile filante des lettres françaises. Un Nijinski qui illumine le décor puis disparaît trop vite, laissant derrière lui une poignée de cailloux précieux parmi lesquels Paris-Berry et Daimler s’en va – des merveilles de gaieté mélancolique.
Berthet aimait Kafka et Saint Augustin, Fitzgerald et les soirées privées, John Mac Enroe et les vieilles DS noires. Il aimait surtout les belles amoureuses capables de dire : « Charles, raconte-moi la scarlatine ! Si tu me la raconte bien, je te permets de m’embrasser, et je te jure que ce sera bien, que c’est une occasion unique – même si je te passe ma grippe, tu n’auras pas à la regretter. » Des héroïnes qui hantent chaque page du Journal de Trêve[1] et de Simple journée d’été[2]. Au bras d’une langue aux éclats ciselés, elles apparaissent dans des récits qui font des choses de la vie une suite de ré-enchantements et de fêtes absurdes. Elles possèdent une élégance incarnée, toute entière, dans le style de Berthet : « Penché sur elle, il ne fut pas certain de reposer dans le même lit : plutôt comme un corbeau penché sur un berceau » ou encore « Une passante fait passer comme un oiseau son ombre sur ma table ».
La réalité, pour Berthet, c’était le style et les histoires que le style créait. Luxe, ironie tordante et volupté au cœur du Journal de Trêve. De 1978 à 1982, Berthet noircit – entre Paris et New York - les pages de ce fourre-tout majestueux composé de listes, de chapitres tronqués, d’un roman en jachère et de monceaux de nouvelles. Un assemblage de cahiers qui a le charme d’un boudoir. Nous sommes dans l’intimité d’un écrivain plongé dans la mine de ses mots. Il les extrait de sa carcasse de jeune dandy, les forge, se les met en bouche. Puis il les fait résonner. Ce qu’on entend est d’une grâce infinie. Un chef d’œuvre de justesse de ton qui traverse chaque texte de Simple journée d’été. Un recueil de nouvelles– son premier – où tout est beau et bon : de l’ « Education française » de Charles Bonneval aux rêves de la douce Constance, en passant par un « Traité d’illégitime défense » et les aphorismes du « Cahier noir de Samuel ». Peu importe, après, que les grognons décrètent que Berthet a trop peu écrit, qu’il a gâché son talent comme Blondin. Blondin, Berthet : la comparaison se tient. Une identique fragilité, une légèreté profonde - reflet d’un certain art de converser, de séduire, d’arpenter l’asphalte des villes et des bords de mer. Une légèreté dont l’écho, aujourd’hui, nous parle : « J’ai des souvenirs comme un défilé de mode, une mémoire comme un soir de cocktail, je n’évolue jamais dans ma chronologie sans avoir un verre à la main. Se souvenir, c’est comme sortir. »
[1] Frédéric Berthet, Journal de Trêve, L’Infini/ Gallimard, 638 pages, 25 euros.
[2] Frédéric Berthet, Simple journée d’été, Denoël, 165 pages, 13 euros.

lundi 29 janvier 2007

Djamila story


J’ai rencontré Djamila chez les « fous », au 1er étage de l’Aile B du Val de Grâce. J’y prenais mes quartiers d’hiver, soignant mes tremblements, tandis qu’elle venait d’être débarquée du Clémenceau. Elle avait malmené un petit chef à képi ou dégueulé sur les pompes d’un gradé, je ne sais plus. Djamila détestait qu’on l’enferme. Djamila, quand elle était enfermé, fracassait les portes.
C’est la première vision que j’ai eu de Djamila. Ses poings matraquant une porte que l’infirmier de garde ne voulait pas ouvrir. Et ses insultes qui mettaient un souk d’enfer dans le corridor du service psychiatrie. Elle hurlait, gueulait, braillait :

_ Putain, vous l’ouvrez cette porte, bande de merdes, raclures, canailles, emplâtres, va-nu-pieds, troglodytes, tchouk-tchouk-nougat, doryphores, technocrates, froussards, moules à gaufres, vous l’ouvrez cette porte, vous l’ouvrez…

Djamila portait un pantalon de jogging blanc remonté, jusqu’au genou, sur sa jambe gauche, un string noir que je devinais sous le jogging, et un débardeur blanc. Tout ce qui me plaisait. Une apparition chez les « fous ». Je lui demandais ce qui se passait

_ Fermes-la! Dégage ! J’m’en bas les couilles de ta gueule !

J’ai dit à Djamila que je fermais rarement ma gueule. Surtout devant une jolie Berbère. J’ai ajouté que, dans ce hall tapissé de blanc, ses cris étaient beaux comme des rires, que ses cris enchantaient les couloirs et qu’ils devaient faire se bidonner les rats planqués un peu partout. Au moment où l’infirmier a ouvert la porte, j’ai embrassé Djamila sur le front. Elle était surprise. Calmée d’un coup. Des yeux tout ronds et juste une phrase :

_ Vous êtes adorable.

Pendant mes trois semaines au Val de Grâce, Djamila passait me voir dans ma chambre. Parfois charmante, parfois agressive quand quelques demoiselles étaient venues me visiter les heures précédentes. Djamila, alors, avait une question imparable :

_ C’était qui la pute ?

Je ne répondais pas. Je souriais. Sans rien demander, Djamila s’emparait de mes carnets, de mes cahiers étalés sur la table près de la fenêtre. Elle lisait, piquait mes mots, revenait sur certaines pages. J’y parlais de la Corse, de Belle-Ile, des seins blancs dans ma main, d’une brune héroïne perdue et de la lune à la pointe Saint-Mathieu.

_ C’est beau ce que vous écrivez. Vous êtes un poète. Moi j’aime bien la poésie. J’ai lu Paul Valéry, Aragon et puis Lautréamont. C’est bien Lautréamont. J’ai lu qu’il s’appelait Ducasse, qu’il était Comte. La classe, un Comte, c’est comme les Marquis, les Rois, les Reines… Dans le service, ils racontent que vous écrivez sur une fille qui est morte. J’aimerais faire comme vous aussi ou comme Ducasse avec son Maldoror. Elle est vraiment morte la fille que vous aimiez ?

_ Ne le dis à personne Djamila, mais mes mots lui font du bouche à bouche à cette petite fille. Ils la réveillent comme dans un conte pour enfant.

_ C’est pas possible.

_ Tu crois ?

_ Je voudrais parler de mon papa, de ma maman… Je voudrais écrire sur eux. Ils ont eu une vie fascinante. Ils viennent d’Algérie, de Tizi-Ouzou. Ils sont arrivés en France sans rien. D’abord à Marseille puis on les a envoyé à Montpellier. Ils ont vécu plein d’aventures. Mais j’ai pas les mots. Moi, je parle mal, je ne sais pas écrire. Quand j’y arrive pas, quand rien ne vient, je m’énerve. Ca pète d’un coup. Il faut que je casse tout, que je frappe les murs, les gueules… Mais je me suis calmée quand même. Avant c’était terrible, je bastonnais tout ce qui bougeait et tout ce qui ne bougeait pas. J’y arrive pas pour mon papa et ma maman. J’arrive pas à faire ce que vous faites avec cette fille. J’arrive pas le bouche à bouche… Je pourrais venir vous voir ? Vous m’aiderez à trouver les mots ?

_ Ne t’occupe pas des mots Djamila : ils sont déjà dans ta bouche, tes lèvres viennent de les caresser. Et tu viens quand tu veux.

Voilà pourquoi j’avais débarqué au Val de Grâce. Je devais rencontrer Djamila, la Kabyle, la pasionaria du pays bleu, la jolie gifleuse d’officiers supérieurs sur le pont d’un porte-avion de l’armée française. Djamila savait qu’il faut fracasser tous les murs avant de tutoyer les flocons de ciel déchiré. Et puis elle avait raison : j’écrivais des poèmes sur le corps d’une petite fille morte, morte comme une mer oubliée du ressac. Je ne savais faire que ça.
Au Val, sur le Clémenceau ou au 7ème étage de sa tour à Montpellier, Djamila était un flocon de neige berbère au cœur d’une décharge. Fallait-il faire l’amour à Djamila, elle qui le faisait si « bien » m’ont dit les « fous » ? Il fallait seulement laisser Djamila toquer à ma porte. Qu’elle entre, jette un regard à mon amas de notes, à mes lettres d’amour, qu’elle s’allonge sur mon lit, qu’elle me parle. Sa voix était douce, une voix d’avant les horreurs, d’avant les médocs qui abrutissent puis qui rendent fous les plus fous d’entre nous.
Djamila était une sauvageonne qui aimait les BD d’Hergé et le capitaine Haddock, la poésie des dandys destroyés et le bleu qui coulait dans ses veines.
Djamila, au 7e étage de sa tour à Montpellier, vient de se pendre.

Hallier, l’écrivain que vous aimerez haïr


Enterré dans son Finistère sous les crachats et les moqueries de beaucoup, Jean-Edern Hallier bouge encore. Tel un monstre gothique grand-guignolesque, il remonte sur scène, histoire de nous rappeler que tout était plus drôle, plus léger, plus percutant du temps de son règne fourbe et flamboyant. Dans sa besace : Fin de siècle[1], L’Evangile du fou[2] – sous titré Charles de Foucauld, le manuscrit de ma mère morte – et les missives piégées qu’il envoya, à la fin de sa vie, à ses amis, ses ennemis. Depuis sa chute de vélo, le 11 janvier 1997 à Deauville, Jean-Edern n’a pas changé, touchant et insupportable « grand écrivain » qui se prend les pieds dans le tapis de l’époque et, les fesses par terre, harangue les puissants et les faibles avec le lyrisme des clodos magnifiques. Que nous dit Hallier dans ses Fax d’outre-tombe[3] à rire aux éclats ? Qu’il reste le plus grand, le meilleur, que personne ne lui arrive à la cheville, que les vanités se dégonflent d’une moquerie bien sentie, qu’il est le cousin de madame la Présidente, que les grands journaux français ne peuvent se passer de sa plume, qu’il aura le prix Goncourt. Mais il nous livre aussi, d’une voix cassée, des poignées d’intimité délicate : « Mon crépuscule intérieur me fait toujours choisir l’espérance insensée de l’aube. Le jour se lèvera pour tout le monde sauf pour moi. A ceci près que je resterai toujours le premier, un homme d’avant le jour, celui des petits matins glacés de l’intelligence, comme disait Paul Valéry. » Jean-Edern Hallier, c’était ça : un mensonge sur pattes dont le corps et la langue ont toujours dit la vérité.
Le style, c’est l’homme
Il faut se souvenir du corps d’Hallier. Dans un troquet de la côte bretonne, sous les dorures parisiennes ou à bicyclette, on ne voyait que lui. Ex-borgne devenu aveugle, portant costumes fripés et écharpe blanche comme le lys, Jean-Edern affichait une dégaine haute en couleur sur laquelle se déposaient les postillons des tristes sires : bouffon, truqueur, voyou, plagieur, maître-chanteur, sale type. Récemment encore, un célèbre chroniqueur ne lâchait pas le morceau : « Triste pitre », « débiteur de la vierge Marie », « ami de Sarkozy »... Etourdi par son mépris haineux, ce vieil observateur des gens de lettres passait à côté de l’essentiel : grandiose derrière ses masques multiples de parrain mégalo, Hallier était juste un personnage de roman, un gigantesque anti-héros qui ne s’aimait qu’entre les pages d’un livre ou entre les lignes d’un journal. Pour exister dans un pays qui se bouchait le nez devant les types comme lui, Hallier s’est proclamé cogneur sur le ring des mots. Le ring le plus beau c’était bien sûr L’Idiot international, bric-à-brac vengeur d’un obsédé du style qui secoua le cocotier clinquant des années 80 finissantes. Avec L’Idiot, Jean-Edern a accompli sa « grande œuvre », torero d’une vie qui devenait invivable et dealer de littérature. Autour du bandit en chef qui tenait l’édito, l’article, la chronique, le poème - toujours en avance d’un combat et d’un bon mot -, nous retrouvions ceux qu’il nomma, dans Les puissances du mal, sa « brigade légère » : Nabe, Besson, Duteurtre, Limonov ou encore Houellebecq, les meilleurs du jour. L’Idiot est ainsi le révélateur du secret d’Hallier. Sniffeur perpétuel des mots de Hugo, Chateaubriand ou Larbaud, il y a surjoué d’une grâce pataude son meilleur rôle : écrivain entouré d’écrivains élus par sa seule volonté.
Le romancier contre-attaque
Hallier écrivain ? Rictus mauvais et protestations fusent encore. Il y a longtemps que le « cas Jean-Edern » semblait régler. Ouvrons Fin de Siècle, L’Evangile du fou, romans où l’on peut lire : « Nous étions un 13 août 1979. Je volais toutes ailes déployées au dessus des champignons de nuages blancs, sur le vélin de l'aube, vers la moisissure du temps perdu » et « Ma mère est morte, c’est la fin du monde. Rien ne sera jamais plus comme avant. Pleure, Petit Prince. » Des mises en bouche qui disent tout du talent d’Hallier et ouvrent sur une identique épopée hors-norme : un fou se plonge dans un monde créé à sa démesure et, d’une langue pleine d’épines et de fulgurances, le défie. « Mon histoire, écrit Hallier, est d’une simplicité enfantine, celle de la maladie d’enfance, elle est aussi d’une simplicité biblique, celle de David contre Goliath. » David en vadrouille au Cambodge face au Goliath de l’humanitaire droitdelhommiste triomphant puis sur les pas de Charles de Foucauld, découvrant le pays bleus des Bédouins. Il faut lire dans la foulée Fin de siècle et L’Evangile du fou pour comprendre que, livre après livre, Jean-Edern a écrit un seul et même fourre-tout majestueux et mal fagoté, où tout ce que son œil alors valide pouvait capter était épinglé tel un papillon. D’un roman l’autre, il nous emmène du côté de la fin de la terre, aux premières loges d’une écume belle et blanche comme la peau d’Anna Mouglalis. Il nous présente les fantômes de la Boixière, son « vaisseau de granit » perdu au milieu des herbes hautes. Il trinque à la beauté de la pluie, de la neige et des vents violents qui font claquer les fenêtres entrouvertes et soulèvent les draps. Il joue aux billes avec Rabbin des bois, Mystère Magoo, Quéquette du Graal. Avant de s’endormir, il se laisse border par une mère imaginaire chapardeuse de songes, une maman dont les seins et la chevelure pourraient appartenir à Béatrice Dalle. Quand la maman s'en va, Hallier souffle aux enfants que, comme lui, nous sommes restés : « J’appartiens à la race de ceux qui ne sont rien et dont toute la passion, pour rester des hommes libres, se sera employée à n’être rien jusqu’à la fin. Alors je dormirai tranquille, apaisé, revenu de toutes mes fièvres, mes vanités insupportables, et de tous mes défis gratuits.»


[1] Fin de siècle, Albin Michel, 336 pages, 23 euros.
[2] L’Evangile du fou, Albin Michel, 438 pages, 23 euros.
[3] Fax d’outre-tombe, Michalon, 446 pages, 23 euros.

dimanche 28 janvier 2007

PS : Muray se tape Ségogo

Manitoba/Les Belles Lettres ont eu l'excellente idée de rééditer, dans un mince volume rose fuchsia comme un coeur socialiste, trois textes de Muray dont "Le sourire à visage humain", qui date de septembre 2004. En quelques pages drôles, punchy et précises, Muray dressait le portrait de la mère fouettarde de la campagne 2007 : "Je souris partout est le slogan caché de ce sourire et aussi son programme de gouvernement. C'est un sourire de nettoyage et d'épuration. Il se dévoue pour en finir avec le Jugement terminal."
A lire et relire avant que Nicolas le petit, à son tour, se prenne pareille branlée hautement stylée !

Un pistolero nommé Muray


Philippe Muray nous manque. Il était de ceux dont nous attendions les mots, qu’ils nous plaisent ou non. Nous l’avons guetté dans les colonnes de quelques journaux et nous n’avons rien lu. Rien sur l’adoubement de sœur Sourire, rien sur les tics nerveux de Nicolas le petit, pas plus sur l'imminente interdiction de fumer dans les lieux publics. Sa plume joyeusement furibarde n’aurait pas manqué de zébrer ces ultimes soubresauts d’une fin de l’histoire qui n’en finit pas. Pour garder en mémoire son art bernanosien d’offenser les imbéciles, il faut relire ses Exorcismes spirituels et les deux tomes d’Après l’histoire – chroniques d’un temps qui ne passe plus, ne s’arrête plus, mais qui fonce dans le décor comme une locomotive folle dont on aurait achevé le conducteur. Relire Muray, puis découvrir Roues Carrées[1] et Le Portatif[2]. Un recueil de trois nouvelles assemblées à la va-vite par l’éditeur et un « bref dictionnaire intime » rédigé entre 1991 – parution de L’Empire du Bien – et 1997 – parution de On ferme.
Le Portatif – dont le titre « est un hommage au Dictionnaire philosophique de Voltaire, surnommé [ainsi] par ses lecteurs » - est un abécédaire au noir, une œuvre clandestine faite de lambeaux, de notes, de bribes, de rappels, de fragments. Muray expliquait qu’il voulait y « rassembler et confronter quelques notions qui [lui] étaient chères, certains de [ses] concepts préférés… » Mais plus qu’un écrivain de « notions » ou de « concepts », Muray est un styliste de haute lignée, à rapprocher du Pasolini des Ecrits corsaires et des Lettres luthériennes : le beau mot sur la bonne cible. Romancier, essayiste ou poète, il manie la langue avec la maestria de Clint Eastwood dégainant son colt dans les westerns de Sergio Léone. Raccourci touchant et fulgurant de son œuvre, Le Portatif en apporte moult preuves. Ainsi son indépassable trilogie lexicale, jetée tel un tag monstrueux sur les murs du jour pour énoncer ce qu’est devenu l’homme : « Panurge (Matons de) » / « Panurge (Mutés de) » / « Panurge (Mutins de) ». Tout est dit également sur « l’envie de pénal » qui a déclaré personna non grata « l’envie de pénis » ou encore sur l’humain noyé par la grande machine hyperfestive : « Le poisson pourrit par la fête ».
Si Muray, au fil des pages, troue de quelques formules les « bébéphiles », les « Européens », les « artistes », le « Spectacle » et ses gardiens du temple, il esquisse aussi – en partant du roman de François Taillandier Des hommes qui s’éloignent – une belle réflexion sur le droit de s’absenter. Une apologie de la fugue qu’il éclaire en nommant ce que nous avons perdu : « les bonnes choses de la vie », c’est-à-dire le sexe, le tabac, l’alcool, les corps et les plaisirs en général.
De petit format, Le Portatif est à glisser d’urgence dans une poche de son manteau et à lire dans les derniers lieux habitables qu’ils nous restent. Un bistrot, par exemple, où en grillant une cigarette et dégustant un verre de Red Pif, le meilleur des saluts pourra être adressé à Philippe Muray, franc-tireur qui écrivait : « Je ne pense pas que c’était mieux avant ; je dis que c’était mieux toujours. »
[1] Philippe Muray, Roues carrées, Fayard / Les Belles Lettres, 2006
[2] Philippe Muray, Le Portatif, Mille et une nuits / Les Belles Lettres, 2006

samedi 27 janvier 2007

Remember Marc-Edourd Nabe


Où sont-ils ceux qui, comme moi, lisaient Au régal des vermines à la fin des années 80, au début des années 90 ? Nabe était là, fort comme un Gide, un Proust, comme un Bernanos pour les mini-Nimier que nous étions.
Tous, nous lui avons léché le cul à l’époque du léchage de cul généralisé. Nous avons léché plus qu’il ne fallait. A mort, à grand renfort de « je t’aime », de « A la vie ». Puis certains ont léché les pires grosses Berthas qui se présentaient. Et Nabe est passé à la trappe, aux oubliettes, pas assez bankable, fashion, net et présentable pour percer dans le grand huit du Luna Park littéraire.
Nabe, j'en parlais dans Stèle pour Edern, en 2001. Evoquant Hallier et la horde de sauvages qu'il traînait avec lui, devant lui, autour de lui, Nabe s'imposait. Le meilleur, le plus pur styliste. Classieux, cador du KO, Ali Boma Yé à mort. Le mec qui tue dans l’Idiot International, qui se tire en pleine gloire après Rideau et sa fusillade de tout ce qui fait pleurer les honnêtes gens. Personne, me semble-t-il, n’a dit l’importance qu’a eu Nabe pour nous, bambins coléreux du siècle.
Nabe, je l'ai un peu vu à l’époque. Il revenait de Patmos. Je couchais avec une de ses anciennes maîtresses qu'il n'aimait guère. Ca crée des liens et des inimitiés bizaroïdes. Marc-Edouard en voulait à la dame d’héberger « des écrivains underground ». Dans le même temps, il écrivait sur le 11 septembre, sa Lueur d’espoir.
Je me rappelle de Nabe dans un café rue de la Convention. Il fallait l'interviouver pour la revue Cancer. J'avais amener sa maîtresse. J'étais saoul, j’étais à côté de sa plaque. Il l'avais vu, il buvait une orange pressée. Il n'y a jamais eu d'interview. Au final, c'est un factotum de la revue qui s ‘est chargé de signer les mots de Marc-Edouard.
Après, j’ai dit tout le bien qu’il fallait dire d’Un Printemps de feu. La mitraille, la poésie, l’œil sur le réel et sur le cul de Shéhérazade. A part Besson, il n’y a eu personne pour voir ça. Dantec était là, avec son style de plomb, c’était mieux. Donc silence sur Nabe qui ose critiquer Israël et aimer, en chrétien, Dieudonné et le cadavre de Cheik Yassine.
Nabe, aujourd’hui, n’ a plus d’éditeur. L’immonde pense qu’il joue la comédie, qu’il se la pète « maudit », pleure sur son sort. Peut-être la joue-t-il un peu. Mais ça fait chier. Ca m’emmerde. Tout était plus drôle et plus tragique quand Nabe sortait deux ou trois livres par an. L’année 92 par exemple. Président : Francisque Mitterrand. Premier ministre : Bérégovoy avant la chute. Et dans les bacs de mon libraire : Rideau, Visage de Turcs en pleurs et Petits riens sur presque tout de Nabe. Trois bouquins qui accrochent, qui tapent aux carreaux de l’âme. Trois bouquins publiés par Marc-Edouard quand il en a eu envie.
L’envie de Marc-Edouard Nabe, ce sale gosse, cette ordure pour ceux qui veulent, ça ne se bride pas. Totale liberté pour le king du free style, le plus beau puncheur de la langue française. Les livres qu’il nous réserve sont des pépites à croquer urgemment.

vendredi 26 janvier 2007

Lettre à Louise


Louise, ma Lou’,

Il est trois heures du matin. J’écoute la voix de loup blessé de Daniel Darc, la musique cruelle et enfantine de Frédéric Lo. Comme eux, « Je me souviens, je me rappelle ». L’aube, les apparitions, les frissons, les lieux, les nuits, les étoiles belles, et toi ma Louise, toi au souffle si tranquille, toi qui t’es pointée un soir de juin.
Tu dors et ta maman aussi, à côté de toi. Je t’ai laissé ma place pour mieux te regarder. Pour te dire « Je t’aime », comme un fou que je suis. A côté de moi, le chat Pablo et les feuillets de mes Braconnages d’été.
Dans quelques mois, dans quelques années, tu les liras. Ils sont pour toi. Un baiser, une caresse, un mot dit à ton oreille. Des bribes de toi, des lambeaux de moi sur le ring désincarné du siècle.
Tu rigoleras sûrement aux éclats à la lecture de mes moqueries. Tu feras semblant d’être effrayée par mes gros mots des quatre saisons. Et tu te diras que ton papa est un obsédé, un dangereux pyromane qui n’en fait qu’à sa fête, un type qui préfère le string au voile de pudeur et qui chérit ta maman comme les poètes chérissent les héroïnes venues de l’Est.
Et tu te blottiras dans mes bras. Je te raconterai encore des histoires. Je te raconterai que la guerre est perdue, mais que la guerre continue. Encore des cartouches, toujours des collets posés pour arracher au réel ses copeaux de lune, pour t’offrir une poignée d’or du temps. Je te parlerai des moulins à vent, de la Pointe Saint-Mathieu, du phare qui, là-bas, aiguille les tempêtes. Et je te parlerai d’André Breton, c’est-à-dire des mots les plus somptueux lâchés, tels des ballons, sur la peau de la femme – demoiselle, Lolita, jeune fille, femme fatale toujours.
André Breton, L’union libre, cette incantation qui rallume tous les incendies, ce long poème que je lis à ta maman, parce qu’il me parle de son apparition comme il me parle de toi : « Ma femme aux doigts d’allumettes / Ma femme aux doigts de hasard et d’as de cœur / Aux doigts de foin coupé. »
J’embrasserai tes doigts Louise. Et je répondrai à la question des angoissés qui me demandent : « Mais dans quel pays va-t-elle vivre, tu te rends compte ? »
Mon trésor, tu vis dans le pays d’André Breton et de Marie-Claude Pietragalla, de Marie-José Pérec et de Bernard Hinault. Tu vis sur un nuage où trinquent Antoine Blondin et Arletty, la copine de Louis-Ferdinand. Le reste, nous le brûlerons et nous danserons sur ses cendres.
Tendre nuit, ma Louise.

Lettre d’amour

Mon amour,

J’ai vu une petite fille en pleurs. Elle offre à la nuit, au maquis et aux fugueurs, ses sciures de blessures et de mystères.

J’ai vu une petite fille en pleurs, une petite fille aux sanglots longs d’avant, d’après l’amour, une petite fille d’Asie aux larmes perdues, comme des balles égarées.
J’ai vu une petite fille en pleurs, au rendez-vous des ivresses de passage, une passante de Paris, capitale des cœurs qui flambent tels des caisses rouillées, capitale de la danse sur la corde raide de l’asphalte.
J’ai vu une petite fille en pleurs. C’est son tic-tac qui a bobo, la pulsation divine du dedans, les épines incrustées dans l’œuvre d’art et de douleur. Et moi je sèche ses larmes. Je prends sa main, passe la mienne sur sa joue mouillée. Je lui conte la magie des lucioles. Je lui dis : « Tu rends heureux », juste pour éclabousser de mon eau de vie ses lèvres de tendre baiseuse de serpents. Je lui dis que l’amour sublime, toujours, aura la peau du sordide.

Te rappelles-tu, mon amour, le jour de ton apparition ?

Port Royal

J’habite à Paris, rue Daguerre, dans le XIVe arrondissement. Mon lopin de jeu est bordé par l’avenue du général Leclerc et par la rue Boulard où se trouvent l’Arbre-à-lettre et sa jolie libraire. Pour voir son sourire, je rachète là-bas Le piéton de Paris de Fargue et Les chasseurs d’André Hardellet.
Après Brest, après Rennes, Paris est mon QG, le port d’attache de mes flamberies des quatre saisons. J’y ai mes troquets – le Daguerre, la Closerie des Lilas, le Café d’Orléans -, ma place – Saint Sulpice ! – et mon boulevard – le boulevard du Port-Royal.
Port-Royal, c’est mon domaine, ma seigneurie. Je l’ai arpenté, ce boulevard. Seul ou avec ma fiancée, à l’époque où nous créchions du côté de Mouffetard et des Gobelins, rue du Fer à moulin. Ma muse n’a jamais été plus belle que, passant sous les hautains réverbères face au Val de Grâce, me hurlant dessus parce que j’étais saoul.
Il était minuit bien croqué. Je sortais de la Closerie ou de l’Académie de la bière. J’avais mal à l’âme comme d’autres ont mal au cœur en voiture. Sans savoir pourquoi, parce que ça tourne de trop, parce que la respiration est bloquée. Cette année-là, je forçais encore un peu sur tout ce qui se buvait. Du martini, du gin, du vin de toutes les couleurs. Impossible de m’arrêter. J’étais tombé dedans quand j’étais petit. Je m’imaginais être très près de la maison, de mon lit. Et je chutais, je m’étalais sur le pavé. J’insultais la terre entière et ma douce plus que tout. Connasse, putain, crétine, débile, génitrice, chtarbée … Tout ça pour dire « je t’aime » comme un idiot.
Ma douce, n’en pouvant plus, rentrait à la maison. Et moi je me prenais pour un crooner, un mec à moustaches aux cheveux platine, un nommé Bevilacqua. Fou parmi les caisses circulant à fond sur le boulevard, je chantais Daisy à la lune endormie. Daisy, c’est l’histoire d’une demoiselle. Elle est là, elle s’impose, la marée de ses envies bat une drôle de chamade, puis elle s’en va, ne reviendra pas.
Boulevard du Port Royal, je dessinais Daisy, ses contours de nuit alors que le ciel tombe si bas. L’espoir d’une vie se craquèle entre mes doigts jaunis… Rejoue-moi, Daisy, ce vieux mélodrame. Tu sais, celui qui tire les larmes, celui de ton regard qui désarme… Rejoue-moi ce vieux mélodrame Daisy…
Au petit matin, des roses et des roses apportées à ma muse ne suffisaient pas toujours à me faire pardonner. Peu m’importait : j’étais le Roi de Port Royal.

mercredi 24 janvier 2007

Braconner


Braconner, c'est être léger et et aérien comme l'était Marco Pantani en fugue dans le Galibier, l'Alpe d'Huez ou le Mont Ventoux. Ou comme le sont les danseuses et les jolies passantes de nos villes.
Braconner : luxe, classe et tremplin des voluptueuses envies !